Vers le sud a été présenté en 2005 à la 62e Mostra de Venise. Ménothy César, alias Legba, y a remporté le prix Marcello-Mastroianni, décerné à un jeune comédien émergent.
Après deux films centrés sur des personnages masculins, Laurent Cantet a choisi cette fois un récit construit autour de trois femmes. Il a donc réuni l'Américaine Karen Young (vue dans 9 semaines 1/2, Daylight et la série Les Sopranos), la Québecoise Louise Portal (connue en France grace au succès du Déclin de l'empire américain puis des Invasions barbares) et l'Anglaise Charlotte Rampling. A propos de cette dernière, le réalisateur explique : "Je voulais pour le rôle d'Ellen une actrice connue car la plonger dans un contexte aussi différent de son quotidien me renvoyait à Ingrid Bergman dans Stromboli de Roberto Rossellini, où on utilise le statut d'une vedette pour le confronter à un monde à l'opposé du sien. Même si le rapport de Charlotte Rampling au monde dans Vers le sud est direct, indépendant de son statut de star. Intégrer dans un film la dimension d'un comédien, constituée par d'autres films -c'est le cas de Charlotte Rampling- me fait peur habituellement, mais là, non seulement, cette dimension s'imposait mais elle enrichissait son personnage."
Vers le sud est l'adaptation de la nouvelle homonyme de Dany Laferrière, publiée dans le recueil La Chair du maître en 1997. Né en 1953 à Port-au-Prince, Laferrière, qui débuta comme journaliste, décida de quitter Haïti à la suite de l'assassinat par les tontons macoutes de son confrère et ami Gasner Raymond. Installé à Montréal (même s'il a vécu à Miami durant les années 90), il se fait connaître comme écrivain. Son premier livre, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), donnera lieu à une adaptation cinématographique en 1989. Pour le cinéma, Laferrière écrira aussi le scénario du Gout des jeunes filles de John L'Ecuyer, d'après un autre de ses ouvrages, en 2004. La même année, il passe à la réalisation avec Comment conquerir l'Amérique en une nuit.
Laurent Cantet évoque son premier voyage en Haïti : "J'y étais allé pour retrouver quelqu'un, sans avoir jamais imaginé y tourner un film. C'était ma première rencontre avec les Caraïbes. J'y ai passé une semaine et en suis parti avec la certitude d'y revenir. J'ai juste eu le temps d'éprouver une foule de sentiments extrêmes, allant de la fascination à la révolte, d'une étrange quiétude à l'abattement le plus grand face à tant de misère. On y croise des gens confrontés à des situations très dures sans que cela empêche de ressentir très fort la sensualité du pays, une espèce de nonchalance aussi. Ce paradoxe fait que le statut d'étranger devient vite embarrassant : malgré la dureté de ce que l'on y découvre, on a souvent l'impression d'être face à un paradis perdu, tellement perdu qu'il en devient gênant au regard de la réalité environnante."
C'est dans l'avion du retour, après ce premier voyage, que le cinéaste a découvert le recueil de nouvelles de Dany Laferrière La Chair du maître. Il se souvient de sa réaction : "Les nouvelles ont beau se dérouler dans les années 70, j'ai retrouvé en les lisant des sensations que j'avais éprouvées sur place : cette proximité du merveilleux et de l'inacceptable, de l'insouciance et du tragique, d'une sociabilité extrême et d'une violence toujours prête à exploser." La nouvelle intitulée Vers le sud, dont est tiré le film, est composée exclusivement de récits autonomes des différents personnages. On retrouve cette dimension dans le long métrage, puisque les trois personnages féminins principaux, ainsi que le maître d'hôtel, ont droit chacun à un monologue, face caméra.
Le cinéaste précise ses intentions : "Ce qui m'intéressait dans la nouvelle, et dans tout ce que Dany Laferrière écrit, se résume à ce constat : il n'y a pas d'un côté les pauvres victimes et de l'autre les salauds qui manipulent. Dans la nouvelle Vers le sud, il met en avant le fait que tout le monde y trouve son compte. Les Américains viennent à Haïti oublier pendant quinze jours la réalité d'une vie peu réjouissante. Elles peuvent jouer aux milliardaires, ce qui est facile dans un pays où le niveau de vie est si bas, et surtout retrouver le pouvoir de séduction auquel elles n'ont plus accès aux Etats-Unis (...) Legba se retrouve à l'hôtel pour des raisons similaires. Il peut y oublier tous les ennuis qu'il a à l'extérieur, y fuir les macoutes contre lesquels il est impuissant, y évacuer de sa vie l'histoire de sa copine qu'il rencontre dans la limousine, y échapper à sa mère... Dans ce qu'on peut appeler prostitution (...) il y a aussi énormément de tendresse. Pour Legba, l'hôtel est le seul lieu où on l'écoute, où on le regarde comme homme, où il peut éprouver sa dimension humaine, systématiqueemnt niée à l'extérieur, il y a un vrai échange entre lui et les femmes. On risque d'évoquer le tourisme sexuel en commentant le film. Sans avoir peur de l'expression, je la trouve réductrice, et je préfèrerais qu'on parle de tourisme amoureux."
Au départ, Vers le sud devait se tourner à Haïti en janvier 2003. Mais la situation politique de l'île, particulièrement instable (avec une coalition de la société civile face au président Aristide, qui sera contraint à démissionner puis à s'exiler en 2004) aurait rendu la tâche trop ardue. C'est donc en République dominicaine, île voisine, que l'essentiel du film a été tourné, dans des conditions climatiques difficiles, la région ayant connu un hiver inhabituellement rude. Le projet ayant été décalé d'une année, Laurent Cantet a néanmoins pu tourner quelques scènes à Port-au-Prince (capitale d'Haïti) : la scène du marché avec Brenda et Legba, ainsi que les trajets en voiture, entre l'aéroport et l'hôtel, et la séquence dans la limousine. La tension était loin d'être retombée, puisqu'une fusillade s'est produite pendant le tournage d'une de ces scènes... Le cinéaste est par ailleurs resté quatre mois à Port au Prince, pour le casting et les repérages. Précisons qu'en dehors des questions de sécurité, une autre raison a conduit Cantet à tourner en République Dominicaine : "La vie touristique que décrivent les nouvelles de Dany Laferrière n'existe plus à Haïti, qui est un pays en ruine, et que le monde entier abandonne à sa ruine (...) Port-au-prince était un peu comme La Havane avant la révolution cubaine. Les décors de cette période n'existent plus."
Laurent Cantet qui aime faire tourner des comédiens non-professionnels (toute la distribution de Ressources humaines à l'exception de Jalil Lespert, Serge Livrozet dans L'Emploi du temps) a encore une fois confronté les trois actrices principales de Vers le sud à des partenaires qui ne s'étaient encore jamais retrouvés devant une caméra. C'est le cas de Ménothy César, interprète de Legba, personnage qui est coeur de tous les enjeux du film. Le cinéaste a passé plus de deux mois à Port-au-Prince à la recherche de la perle rare. "Face à Ménothy César, j'ai eu le même chox qu'avec Jalil Lespert il y a quelques années : tout semblait être là, il n'y avait plus qu'à le saisir", précise le réalisateur. De même, Albert est incarné par un graphiste haïtien, Lys Ambroise.
Dans son premier long métrage, Ressources humaines, Laurent Cantet évoquait les rapports père-fils et la lutte des classes. Dans le suivant, L'Emploi du temps, le héros mentait à sa famille en s'inventant un métier. "Les imbrications entre l'intime et le social m'ont toujours intéressé", reconnaît le réalisateur, qui note, à propos de Vers le sud : "(...) c'est peut-être encore plus le cas ici que dans mes films précédents. D'une part l'intime y est encore plus intime, puisque, abordant le couple, il y est évidemment question du rapport au corps, du désir et de la sexualité. D'autre part, le politique y est aussi plus global (la dictature, la violence sociale, les rapports nord/sud). Le film met en regard la misère sociale des uns et la misère sexuelle des autres, et observe ce qui peut se passer à la confluence des deux."
On retrouve au générique de Vers le sud le nom d'un fidèle complice de Laurent Cantet : Robin Campillo. Celui-ci est à la fois monteur (comme sur les deux premiers long métrages du cinéaste, ainsi que le téléfilm Les Sanguinaires) et scénariste (comme sur son précédent film). Entre L'Emploi du temps et Vers le sud, Robin Campillo est lui-même devenu réalisateur, signant le très remarqué Les Revenants (2004), avec Géraldine Pailhas et Jonathan Zaccaï. Le chef-opérateur Pierre Milon est également une vieille connaissance du cinéaste, puisqu'on lui doit notamment la photographie de Tous à la manif, un court métrage de 1994. Vers le sud marque également une nouvelle étape dans la fructueuse collaboration du réalisateur avec les productrices Caroline Benjo et Carole Scotta (Haut et court).