Le réalisateur Daniel Leconte avait déjà tourné un documentaire sur un procès. Il raconte : "D'abord, il y a eu le précédent, C'est dur d'être aimé par des cons, sur le procès fait à Charlie Hebdo pour avoir publié les caricatures de Mahomet. Il s'agissait déjà de rendre compte d'un procès de manière documentaire. Du coup, le Palais de justice m'était devenu un endroit familier. Alors, l'histoire de Clearstream s'est imposée d'elle-même."
Le réalisateur juge que l'affaire Clearstream a tous les éléments pour faire un bon film : "Elle met en jeu un affrontement entre un ancien Premier ministre et un Président de la République en exercice, ce dont on ne rêverait même pas dans les fictions les plus folles. Ce sont les ingrédients d'une tragédie, dans une unité de temps, de lieux, d'action. Le théâtre était là, les tréteaux étaient dressés, le décor était prêt".
"Au départ, j'avais plutôt l'intention de faire une fiction", confie Daniel Leconte. "J'ai proposé cela à plusieurs chaînes, dont certaines m'ont répondu en gros : « Une fiction avec le Président, on ne touche pas à ça ! ». Du coup, j'ai renoncé à la fiction, mais pas au film : je suis parti tout seul au Palais, avec des caméras et une petite équipe, en me disant : « Je verrai bien… ». Le premier jour du procès, Le Monde a sorti un article signalant que j'étais là avec mon équipe… Coup de chance, la direction de Canal + l'a lu et m'a appelé en me disant que si je tournais ce film, la chaîne était prête à suivre. C'est parti comme ça, et heureusement : sinon, j'aurais peut-être essayé de faire une fiction et j’aurais eu tort, car, très franchement, dans cette affaire la réalité est plus forte que la fiction."
Filmer une audience de tribunal est impossible. Le réalisateur a donc procédé avec une technique bien à lui. Il explique : "La scène de la justice (...), à l'intérieur du tribunal, est à la fois spectaculaire et interdite : les caméras ne peuvent pas entrer, cela ne peut qu'être rapporté, c'est le lieu de la parole, de l'échange juridique. Je devais respecter ce dispositif : être caméra à l'épaule, en mouvement, dans le brouhaha de la salle des pas perdus ; et à l’inverse, être dans le dépouillement, sur fond noir, filmer très simplement pour enregistrer la parole des témoignages et restituer la solennité de la justice telle qu’elle s’exprime dans la salle d’audience. C'est un dispositif auquel je suis fidèle depuis que j’ai mis au point cette écriture avec C'est dur d'être aimé par des cons."
Puisque filmer dans la salle d'audience est impossible, le réalisateur a mis à contribution les portraitistes : "(...) s’il n’y a pas de caméra dans la salle il y a quand même le dessin, qui est l'illustration autorisée au tribunal et dont je me sers dans le film. J'aime bien cette image du portraitiste : elle croque autant qu’elle informe, moins elle en dit, plus elle suggère."
Le procès est commenté par deux personnes âgés, qui se sont trouvées là par hasard, une aubaine pour le réalisateur : "Ils étaient installés comme au théâtre et faisaient ça tout seul… sans rien demander à personne. (...) Ce sont tout sauf des acteurs. C'est la magie du tournage sur le vif : dans la salle des pas perdus, mes équipes tombent sur ces deux personnages, un homme, une femme, qui commentent le procès en cours dans la salle d’audience. Il ne leur reste qu’à capter la conversation. Et là c’est un petit miracle qui se produit. Ces « acteurs du réel » sont meilleurs que n’importe quel acteur. Dans le film, on les retrouve donc comme un fil rouge : c'est un baromètre de l'opinion. A travers eux, on sent l'évolution du procès, ils sont comme le miroir du film. Et dans le film, ils sont comme un miroir tendu vers le public qui regarde".
"J'interviens, je les dirige pour qu'ils soient le plus brillant ou le plus clair possible, raconte Daniel Leconte sur ses rapports avec les avocats. "C'est un questionnement moins journalistique qu'instinctif, comme une conversation d'homme à homme. Je ne cherche pas à les piéger mais à les rendre bons, ou alors je les provoque, je les pousse dans les cordes pour qu'ils réagissent. Ce n'est pas à moi de faire l’intelligent dans mes questions mais en revanche, il faut qu'ils le soient eux, intelligents, dans leurs réponses. C'est pour cela que c'est assez semblable à ce qu’il se passe sur un plateau de tournage de cinéma. Et c'est évidemment très important, puisque les deux tiers du film sont constitués par ces entretiens sur fond noir".
Le film a permis de donner la parole sans retenue aux différents protagonistes du procès Clearstream : "(...) le film rend généralement les gens meilleurs, du moins certains. Pour ceux qui avaient le sentiment d’avoir raté leur prestation au moment du procès, c’était un peu comme une cession de rattrapage. (...) Je ne suis pas président de tribunal, je suis cinéaste. Et si les gens décident d’eux-mêmes de dire beaucoup plus de choses que lors de leur audition à la barre ou de les dire mieux et plus clairement, le film en sort gagnant. Et la vérité aussi peut être…."
"(...) personne, au moment du tournage, ne connaissait le verdict", explique le réalisateur. "C'était essentiel à la dramaturgie du film : pour la salle des pas perdus, tout a été enregistré pendant le procès et pour tout ce qui passe dans la salle d’audience, cela a été enregistré juste après, c'est-à-dire dans les sept semaines qui ont suivi mais avant que le jugement ne soit rendu. C’est très important, j’insiste. J'ai voulu saisir les acteurs dans ce temps d'incertitude où ils se trouvent. Un temps qui va de la fin des audiences au jugement. C’était essentiel si je voulais éviter qu’ils ne parlent sous l’emprise du verdict".
Lorsque Nicolas Sarkozy a aidé Dominique de Villepin en intervenant directement depuis New York, on y a vu de l'acharnement, une sorte d'obsession. Cela a déstabilisé son avocat, Maître Herzog, qui s'est retrouvé brusquement sur la défensive. Le réalisateur fait de cet évènement un coup de théâtre : "J'essaye de le mettre en scène comme cela, à travers le désarroi de maître Herzog, l'avocat de Sarkozy. On est avec lui à la sortie de ces audiences difficiles, où il sent que le procès se retourne et lui échappe. Puis on le retrouve en entretien : il s'explique franchement. C'est une manière d'illustrer le mécanisme d'un procès, ses enjeux humains. Le film est construit selon une dramatisation classique, avec un point de climax, de basculement".
Le réalisateur a tourné énormément, pour ne garder finalement que deux heures de film. Le plus gros travail a donc été le montage : "Je dois avoir tourné une cinquantaine d'heures sur la salle des pas perdus et une centaine d'heures d'entretiens en studio. C'est une matière colossale, mais relative. Je tourne par exemple la même scène avec chaque acteur concerné par les dialogues du procès, afin de pouvoir monter chaque plan en fonction des réactions de témoins que je n'ai parfois pas encore enregistrées… Souvent, chaque séquence est travaillée suivant le point de vue de tous les interlocuteurs, ce qui multiplie les prises. Je peux poser la même question à trois ou quatre personnes différentes. Et reconstituer ainsi la séquence comme si ces personnes se répondaient."
Dominique De Villepin a été contacté, mais a toujours refusé de se prêter au documentaire de Daniel Leconte : "Je le lui ai demandé cinq ou six fois, dont deux fois par lettre recommandée, et la dernière via son avocat, maître Metzner. Il n'a pas voulu, me faisant dire qu'il s'adresserait directement à l'opinion, autrement dit qu’il s’adressait à la presse par déclarations et qu’il refusait le jeu des questions-réponses", relate ce dernier.
Daniel Leconte a travaillé comme un metteur en scène de cinéma : "Au moment du tournage, je dois tout avoir dans la tête pour préparer chaque séquence, comme un cinéaste travaille au story-board ou en prévoyant à l'avance ses axes de caméra. Ici, il faut prévoir l'organisation précise de ce qui est dit. C’est pour cela que mon équipe a reconstitué le script précis des audiences car il n’y avait pas de greffier. C’est un travail de fourmis indispensable. C'était ma bible, le point d’ancrage de l’entretien : cela me servait à approcher au plus près la lettre du procès".
Le procès Clearstream n'est pas terminé, puisque le procureur a fait appel. Réouvert en mai 2011, il sera peut être l'objet d'un second film, mis en œuvre par Daniel Leconte.