"C'est un ami jumeau qui a été le facteur déclencheur", explique Harry Cleven." Il m'avait dit un jour 'J'ai introjecté l'image de mon frère. Quand les gens voient mon frère, ils me voient moi'. Pour lui, l'image de son frère, c'est lui. Ce sont les fameux jumeaux miroirs. De ces discussions est née l'idée des troubles identitaires, s'y est greffée une autre anecdote, vécue par un autre ami : celle du notaire. Sauf que dans son cas, ce n'était pas un jumeau, mais 'simplement' un frère.
J'ai gardé cette idée en tête pendant quelque temps et puis le déclic est venu avec l'association des deux histoires. Le point de départ était de me dire 'Et si un autre Moi arrivait dans ma vie ?' Je trouvais l'idée assez forte et j'ai exploré toutes les possibilités. J'ai finalement pris l'option d'être complètement dans le point de vue d'un personnage et que le spectateur n'ait jamais d'avance sur lui. Ou quasiment jamais. (...) J'avais envie d'être dans la perception et les sensations du protagoniste".
Harry Cleven ne voulait pas de story-board. Il a donc, durant la préparation du film, opté pour un pré-film en vidéo, fait avec des étudiants et une caméra de surveillance, ce qui représentait en outre, selon le réalisateur, "l'avantage de préparer le travail pour les effets spéciaux".
Laurent Brochand, producteur du film, a rencontré Harry Cleven par l'intermédiaire d'Artmédia, qui avait contacté sa société de production pour lui présenter des projets de jeunes metteurs en scène. "Parmi eux, il y avait Trouble. De tous les scénarii reçus, celui-ci ressortait largement. (...) Il était malin, intelligent, bien écrit. Avec un véritable suspens. Nous étions par contre conscients, dès le départ, qu'il y aurait un travail à faire. Pour le rendre plus complet, plus crédible. Harry était à l'écoute, et nous avons donc compris que nous pourrions le faire évoluer.
Nous l'avons d'abord simplifié. Il comportait des histoires tertiaires, quaternaires... Cela aurait été trop difficile à comprendre. Ensuite, il n'y avait pas de rôle féminin digne de ce nom. Or, c'était indispensable à l'intrigue générale du film, notamment pour expliquer le comportement de Claire. Enfin je souhaitais pour l'intrigue finale que (...) le spectateur soit bluffé".
Le producteur avoue par ailleurs que les précédents films du réalisateur (Abracadabra et Pourquoi se marier le jour de la fin du monde) "étaient à l'inverse du cinéma qu'[il] aime habituellement (...), des films d'auteurs très pointus, difficiles d'accès. Loin de mes standards, plutôt américains. En revanche, il avait tourné deux téléfilms de commande", dans lesquels il s'était "[adapté] au cadre imposé (...). Comme il avait envie de faire un film plus grand public (un film d'auteur commercial), nous avons pensé que nous avions une chance de nous entendre et de concevoir un projet commun".
Dans Trouble, les dialogues sont utilisés avec parcimonie. "Je crois que le propos se trouverait alourdi si on expliquait tout par des mots", explique Benoît Magimel. "Les grandes explications ont sciemment été évitées. Le tout était de savoir jusqu'où nous pouvions aller dans l'économie pour que cela ne nuise pas à la compréhension". "Nous sommes dans l'organique et la sensation, plus que dans la compréhension", confirme Harry Cleven. "Je n'avais pas envie non plus d'être dans l'explication. Dès que je le pouvais, je supprimais les dialogues pour être dans le ressenti".
Pour différencier les deux jumeaux, Benoît Magimel a "joué sur les tonalités et la douceur dans la voix. Pour Thomas, le motif était la féminité, la douceur, l'éloquence. Il est fluide, léger, aérien, un peu apprêté. Tout l'opposé de Matyas ; un homme rugueux, terrien, qui manque de finesse et se laisse facilement submerger. (...) Thomas est plus intéressant à jouer. Plus de nuances, plus de facettes. Plus difficile. C'est très casse-gueule".
Harry Cleven précise que l'acteur "a juste fait une voix un petit peu plus aiguë, plus douce, pour Thomas. Le maquillage change aussi. Le teint de Thomas est un petit peu plus clair, il est mieux rasé".
L'équipe du film se devait de donner un repère aux acteurs pour régler leurs jeux de regard, lorsque les deux jumeaux sont -censés être- présents. Ainsi nacquit Hector, un pied de micro agrémenté de deux balles de ping-pong, auquel Benoît Magimel et Natacha Régnier eurent à donner la réplique. L'actrice confesse préférer "jouer face à des gens. Mais avec les effets spéciaux, c'est assez ludique. Il y a des choses précises à mettre en place qui nécessitent du temps; mais il se produit quelque chose d'assez comparable aux jeux de cow-boy et d'indien de notre enfance". "Le plus difficile restait la gestion de l'espace", selon son partenaire à l'écran, "comme pour la scène de la grande réunion des jumeaux, où certains déplacements étaient très complexes".
Le réalisateur Harry Cleven eut également recours pour certaines scènes ou mouvements de caméra à un fond vert. Au total, sur les 600 plans du film, 103 sont "truqués".
Certaines scènes qui réunissent Matyas et Thomas, les deux jumeaux interprétés par Benoît Magimel, nécessitèrent l'utilisation d'une doublure : "J'ai eu la chance pour me donner la réplique d'avoir un bon acteur, Morgan Perez, et pas une simple doublure". Natacha Régnier ne tarit pas non plus d'éloges sur ce comédien : "C'est un excellent acteur, avec une présence folle. Il a d'ailleurs été choisi pour ça et pas pour sa ressemblance physique. Il a vraiment du répondant dans le jeu".
Sur le plateau, raconte le réalisateur, "quand nous n'utilisions pas de doublure, nous filmions la scène et enregistrions les dialogues. Ils étaient ensuite diffusés sur le plateau, et servaient de repère à Benoît et au cadreur. Ils savaient qu'à tel mot, ils devaient tourner la tête et changer le point. La difficulté pour le cadreur était évidemment de reproduire le même changement de point dans les deux prises -celle de Matyas et celle de Thomas- et de faire deux mouvements identiques -dont un à vide- dans l'espace et dans le temps. C'était parfois une vraie prouesse. En plus, le chef opérateur devait parfois simuler des ombres lorsqu'il y avait des déplacements !".
D'une manière générale, le maître-mot était "précision". "C'est la première fois que j'ai affaire à des regards aussi précis, avec des marques à respecter, des fonds verts...", commente Natacha Régnier. "Ce n'est pas tous les jours qu'on travaille avec des effets spéciaux tels que ceux-là en France. Forcément, cela impliquait une précision extrême".
Le réalisateur avoue avoir songé à engager de vrais jumeaux pour le film. "J'ai fait un casting, mais j'avais du mal à trouver des gens qui jouent bien. J'ai même pensé aux frères Polish, Mark et Michael (Les Frères Falls). J'aurais évité le côté pesant de la fabrication, mais il aurait fallu que le film soit en anglais".
Le producteur Laurent Brochand précise : "Nous voulions tourner avec des inconnus, des jumeaux français d'une trentaine d'années. Mais il y en a très peu, et ceux que nous rencontrions dans les castings ne correspondaient pas à nos critères".
Le film comporte de nombreux plans serrés sur les yeux. "Dans les rapports interpersonnels, il existe des distances entre les gens", explique Harry Cleven. " Et à chacune d'entre elles correspond un langage non verbal et l'utilisation de certains sens. En deçà de 30 centimètres, on entre dans les rapports intimes. On ne voit plus que des détails, sans vision d'ensemble. Et quand on ne voit qu'une partie d'un visage, on ne le voit pas. C'est assez étrange. C'est une perception subjective et purement sensitive. Et c'est ce que je recherche. Je tente de capter l'animalité des personnages".
Le film est par ailleurs tourné caméra à l'épaule, afin de donner une "impression de réalité. C'est une question d'écriture visuelle".
Krao, superviseur des effets visuels, confesse que son plus grand défi concernait les contacts physiques entre les deux jumeaux. Pour ce qui est des plans qui les réunissent, explique-t-il, "d'habitude, on utilise la motion control. Mais pour des raisons budgétaires et artistiques, nous avons vite choisi de ne pas utiliser cette technique. De toute manière, nous préférions l'homme à la machine. Dans le travail d'un cadreur, aussi doué soit-il, il y aura toujours des petites imperfections qui donneront de la véracité à l'image. Ce qui n'est pas le cas dans un mouvement dirigé informatiquement.
Pour les plans qui ne requéraient pas de voir les deux visages, nous utilisions le plus souvent une doublure. Nous avons même essayé de mettre un masque en latex reproduisant le visage de Benoît, mais sans succès. Pour les autres séquences, il fallait d'abord trouver quel était, en terme de rythme et de temps, le personnage maître du plan. Nous faisions une première passe avec lui, qui servait de repère. Ensuite, nous faisions une seconde passe avec le deuxième jumeau, en nous fiant, pour le travail du cadreur et des comédiens, au play-back de la première. (...) Les deux plans étaient ensuite superposés. Je pouvais même, grâce à une 'mixette' vérifier instantanément sur le plateau la synchronisation et le bon positionnement dans l'espace et le temps".
Harry Cleven a son point de vue sur le couple formé par ses deux acteurs principaux : "à l'écriture, certains me reprochaient la distance entre Claire et Matyas mais j'imaginais que ça ne se passait pas bien entre eux, et que pourtant ils faisaient comme si... C'est pour ça qu'au début, leur bonheur est filmé comme une pub". Si Natacha Régnier souscrit à cette dernière affirmation, elle n'en pense pas moins que dans ce couple, au départ, "tout se passe bien". "Claire, on le voit bien au début du film, est épanouie, heureuse. (...) Pour moi, elle est victime de la perversité, et surprise par des évènements qu'elle ne sait pas gérer. (...) Elle ne comprend pas ce qui se passe".
Voilà qui vérifie l'assertion de Benoît Magimel, selon lequel "chacun a son interprétation de l'histoire. Dans ce genre de cinéma, il faut laisser les gens libres d'interpréter à leur manière".
Trouble a remporté le Grand Prix du festival du film fantastique de Gérardmer 2005, 12ème du nom.