Il y a longtemps, bien longtemps, à la fin d'une décennie lointaine... bien avant Jurassic Park, les dinosaures n'étaient encore à l'écran que de simples animations en stop motion ou en animatroniques, très loin du rêve effrayant et merveilleux que s'en faisaient les enfants. Trois ans avant l'apparition des premiers dinosaures photo-réalistes de Spielberg, le cinéma comptait en effet peu de films de grands sauriens visuellement mémorables. On pensera seulement aux antiques T-Rex animés du King Kong de 1933, du Monde Perdu de 1960, d'Un million d'années avant JC de 1962 et, pourquoi pas, au dino-dollar de la pub SUX-6000 dans Robocop. Bref, des apparitions distrayantes pour l'époque mais rien de vraiment très impressionnant. En 1988, le génial Don Bluth a pour ambition de faire rêver les plus jeunes en leur proposant un film d'animation prenant pour cadre l'ère mythique des dinosaures. Cet ancien animateur de chez Disney, patron de sa propre société d'animation depuis 1980, avait déjà révolutionné le cinéma d'animation pour enfants avec deux précédents opus tellement somptueux qu'ils faisaient à eux-seuls de l'ombre à toute la production disneyienne des années 80, les fameux Brisby et le secret de NIMH et Fievel et le Nouveau Monde. Parrainé par George Lucas et Steven Spielberg, le studio Don Bluth Animation se lança ainsi dans ce troisième grand projet de film d'animation et accoucha finalement d'une de leurs oeuvres les plus somptueuses : Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles (The Land before time en VO).
Dès les premières secondes de métrage, on est conquis par les notes de la partition sublime de James Horner dont les envolées orchestrales renvoient pour beaucoup à son précédent travail sur Willow et illustrent à merveille les images animées du film de Don Bluth. Des images révélant un monde des origines, aride et désertique, où se meuvent les silhouettes de créatures inquiétantes et voraces, impitoyables jusqu'à chercher leur repas dans un nid sans défense. Un monde cruel qui bouffe les plus faibles jusque dans leur berceau. Si elle découle d'un heureux hasard (voir l'oeuf qui ne cesse de chuter en échappant à plusieurs prédateurs), la naissance de Petit Pied a déjà tout du parcours du combattant et préfigure la lutte pour la survie qui sous-tendra tout le film. Car il est question de survie dans le film de Don Bluth, le groupe de petits dinosaures se retrouvant livré à lui-même dans un monde impitoyable où seul prévaut la loi du plus fort. L'union fera ainsi la force pour résister aux assauts du terrifiant Dent tranchante dont chacune des apparitions se veut particulièrement effrayante. Le T-Rex représente ainsi l'adulte cruel, le prédateur affamé et dénué d'empathie, et qui ne prononce jamais le moindre mot, a contrario des autres dinosaures.
Mais au-delà de la simple course à la survie, il est aussi et surtout question d'amitié, de confiance et de tolérance dans The Land before time. Le petit groupe hétérogène de héros est ainsi constitué de plusieurs espèces, se voyant comme autant de races (humaines ?) décrites au début du film comme essentiellement communautaires (voir la procession des dinosaures et l'attitude des Tricératops). Il suffit de voir l'attitude individualiste de la petite Cera et son évolution au contact de ses amis pour comprendre tout le message véhiculé par Don Bluth au jeune public qui verra le film. Rien n'a plus d'importance que l'amitié, l'amour et la confiance que l'on peut avoir en l'autre, face au péril d'un monde trop cruel et dangereux pour qu'on l'affronte seul. C'est grâce à la solidarité de leur groupe que les petits dinosaures arriveront finalement à triompher du monstre qui les poursuit (dans la formidable séquence du ravin) et à atteindre leur but : retrouver leurs familles en lieu sûr pour y grandir en toute sécurité.
En considérant que beaucoup de films d'animations d'époque ont eu droit à leur propre lifting, il est un peu dommage que The Land before time n'ait pas eut les honneurs d'une restauration digne de ce nom de la part des producteurs, depuis sa ressortie en salles en 2002. Par moment, l'image parait aujourd'hui un peu vieillote, malgré la qualité incontestable de l'animation qui reste grandiose. Car à son époque, Don Bluth ne se contentait pas du strict minimum pour sa mise en scène mais avait l'ambition de bousculer les codes de l'animation en insufflant à son film, bien avant Disney et son Aladdin, suffisamment de fluidité et de dynamisme pour nous offrir quelques séquences spectaculaires, que ce soit le combat apocalyptique entre la mère de Petit Pied et Dent tranchante (et ce crescendo dramatique lors du séisme), le réveil du monstre au fond du gouffre sous les yeux terrifiés de Cera (l'oeil qui s'ouvre sur le visage de la petite Tricératops) et la lutte finale au-dessus de l'étang. On saluera aussi la qualité du doublage français de l'époque (celui de 1988) auquel avaient participé des pointures comme Maik Darah (la mère de Petit Pied), Henri Virlojeux (le narrateur) et le regretté Roger Carel (Pétri). Un doublage qu'on ne retrouve hélas plus (à l'exception de Carel) dans les éditions dvd actuelles depuis la ressortie du film en 2002 au profit d'un second doublage de moindre qualité. Pas de quoi pour autant bouder son plaisir, la version française initiale se retrouvant toujours facilement sur les plateformes et la version originale restant elle, inchangée.
Sublimé par la qualité de son animation, de sa musique et de son doublage, le film de Don Bluth se (re)découvre ainsi avec beaucoup de plaisir, à tout moment, y compris en cette veille de Noël. Les enfants d'aujourd'hui s'émeuvent toujours autant devant la mort de la mère de Petit Pied, frissonnent aux apparitions de Dent tranchante, rient aux pitreries de Pétri le petit ptérodactyle qui ne sait pas voler, et s'amusent volontiers à répéter "Ouiouioui" en imitant la petite Becky. Certains grands enfants trouveront le propos et l'humour du film un peu niais mais est-il vraiment besoin de leur rappeler qu'il s'agit ici d'un dessin animé pour les plus petits ? C'est bien d'ailleurs parce qu'il séduit toujours autant les enfants et qu'il s'adresse aussi à la nostalgie des plus grands que Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles reste un film intemporel, un des meilleurs témoins d'un cinéma d'animation "à l'ancienne", hélas aujourd'hui disparu.