Méconnu, ce film qui est le deuxième de Jacques Demy est un des ses plus grands. Le début est véritablement exemplaire. Passé le beau générique, il faut à peine trois minutes à Demy pour poser clairement ce dont il sera question et produire une situation permettant d'impulser le drame. Le thème du film est la passion pour le jeu. L'histoire est celle d'un jeune homme, Jean Fournié qui, c'est le cas de le dire, se prendra au jeu, et verra pour un temps son destin, noué aux hasards des tables de casino, avec celui de Jackie, dont la vie est toute entière vouée à cette passion. Le film a ainsi pour objet un problème moral (la passion, la liberté, le type de vie qu'il faut mener), et décline, par rapport à celui-ci, la situation dramatique par excellence: le couple. «La Baie des Anges» possède une ligne narrative simple et pour la servir une mise en scène précise, rigoureuse, et un noir et blanc superbe (les cheveux noirs de Jean et la blondeur platine de Jackie, les vêtements de l'un et de l'autre, les robes de Jackie...). On est forcé de penser à Robert Bresson, au vu de la rigueur descriptive, du choix de traiter une question morale (sans faire de moralisme), des thèmes de l'argent, du hasard et de la fatalité. Le personnage masculin évoque celui de «Pickpocket»; comme lui, il veut mettre à l'épreuve le destin est fait figure de «passionné lucide». Claude Mann est remarquable dans ce rôle pour son premier long-métrage. Quant à Jeanne Moreau, elle éblouit, comme ses cheveux, blonds pour la seule fois de sa carrière, fascinants comme l'argent et réfléchissant la lumière à chaque plan. L'impression esthétique singulière que produit «La Baie des Anges» y doit beaucoup. On peut aussi y voir un indice de plus de la prédilection de Demy pour les blondes: il tournera bientôt trois films avec Catherine Deneuve, une vraie fausse blonde cette fois. Enfin, le thème obsédant écrit par Michel Legrand vient avec bonheur accompagner la ronde des roulettes et le tourni des joueurs.