Philippe Grandrieux s'explique sur l'énigmatique première scène de La vie nouvelle : "C'est comme une houle, une avancée, une masse opaque, une pression qui vient essentiellement des visages. Ils sont éblouis, pris dans la lumière, captifs. Ils apparaîssent au fond de l'obscurité, ils semblent avancer, fascinés par on ne sait quoi. On ne peut donner une image de ce contrechamp, de ce qui occupe leur regard. On peut donner une image de la stupeur, mais pas de l'objet de la stupeur."
Philippe Grandrieux revient sur l'importance accordée au son dans le film : "J'avais une sensation particulière du son, comme s'il parvenait jusqu'à nos oreilles, considérablement ralenti, lointain. Juste une rumeur, la fin, une trace, alors que la source est extrêmement violente. Dès le départ, j'ai voulu que ce son "nappe" tout le film, une sorte de tension sonore constante, à l'image de ce bruit de fond de l'univers qui nous enveloppe de toutes parts, ce reste du big bang."
"Il était barman quand je l'ai rencontré. Il venait de jouer dans le film de Didier Goldschmidt : Alissa. J'ai su que "l'homme français", c'était lui. Il fallait un acteur qui puisse jouer sans que ce ne soit jamais un numéro d'acteur. Il fallait que l'on ne sache pas de quoi il retourne, que toute cette scène puisse être un "documentaire sur le vivant.""
Philippe Grandrieux se souvient d'une scène qui a inspiré l'histoire de La vie nouvelle : "Dans un hôtel à Sofia, qui était aussi un bordel, j'avais vu un très jeune militaire américain basé au Kosovo rencontrer une prostituée. Elle était aussi très jeune, et leur jeunesse me sidérait, au milieu de ce chaos des pays de l'Est, la guerre, le désastre. J'avais l'impression d'un au-delà des contingences historiques, un éternel retour très solaire au milieu de cette nuit invraisemblable."
"Depuis Sombre, nous n'avons jamais cessé de nous voir. Je voulais qu'il soit là, avec moi pour La Vie nouvelle. Marc m'a permis de filmer la lucidité de Roscoe, son désenchantement. C'était encore un immense plaisir."
Philippe Grandrieux explique le choix du titre du film : "Le titre était là dès le début. J'avais lu "Vita Nova" et je trouvais tellement beau cet amour de Dante pour Béatrice, juste entraperçue, comme une apparition qui redistribue toutes les cartes de son existence. La vie est nouvelle à chaque instant."
Philippe Grandrieux explique ses choix concernant la lumière de La vie nouvelle : C'est un film très solaire. Avec Eric Vuillard, mon coscénariste, nous voulions que le soleil ne puisse jamais monter. Comme s'il était toujours en début ou en fin de course. Je tournais tôt l matin ou tard le soir, quand le soleil était à l'horizon. J'avais des couleurs très denses en tête, du jeune, du doré, des bruns, des rouges. Je pensais à Courbet, et aux jaunes dorés, éteints, et en même temps tellement lumineux de Rembrandt."
Philippe Grandrieux s'explique sur son principal personnage féminin: "Mélania est un fantasme pour SeymourLa , une icône, une figure qui se lève, qui vient du noir et qui apparaît, qui brille dans la nuit. Mais pour Boyan, c'est juste un corps qu'il manipule, qu'il construit, qu'il possède. En même temps, Mélania est très forte. Elle ne donne rien. Elle est close, elle n'a aucune espèce de réaction émotive à laquelle on pourrait se référer. Elle fait son job. Elle appartient à Boyan et en même temps elle s'appartient. Le rapport maître/esclave est très complexe. Qu'on le veuille ou non, c'est un schéma qui nous structure. C'est là partout, dans les bureaux, la vie, la rue."
La musique de La vie nouvelle est composée par Etant Donnés, un duo formé en 1980 par Marc et Eric Hurtado. Dès la première version du scénario, le groupe a composé plus de quatre heures de sons qui ont permis de placer l'ensemble du tournage dans la tension sonore que réclamait le film. Leur travail s'est poursuivi jusqu'à la fin du montage.
En donnant à La vie nouvelle un style très particulier, proche du cinéma expérimental, Philippe Grandrieux cherche à perturber son audience : "Je voulais que le spectateur soit placé, toute la durée du film, dans une tension émotive et sensitive. Le film rêvé pour moi, ce serait celui où la perturbation est tellement importante que, d'un plan à l'autre, on passerait par exemple, d'une extrême joie à une très grande colère, avec une totale soudaineté. Que la vibration soit constante, comme le tremblement des herbes."
Philippe Grandrieux explique ce qu'il voulait transmettre par la présence de nombreux chiens à l'écran : "Le film est travaillé par la bestialité qui est en nous à la fois comme une menace et un destin. C'est une force vitale et très solaire. Les chiens, le soleil et la petite enfance sont pour moi étrangement proches. Cette menace d'être dévoré se déploie par ailleurs, autrement, dans l'angoisse de pénétrer les corps."
Philippe Grandrieux explique le déroulement de la phase de montage : "Françoise Tourmen est venue à Sophia et elle a commencé à monter pendant que je tournais. Moi, je ne voulais rien voir. Comme je cadre, je voulais que toutes les images soient imprimées sur ma rétine, restent dans ma tête, quelles ne soient jamais projetées. Pas de distance. j'étais aveuglé, réellement ébloui. Françoise me disait ce qu'elle voyait, ce qu'elle sentait. A Paris, je n'ai pas voulu voir tous les rushes avant de monter, mais avancer peu à peu dans le film, scène par scène. On montait et puis on confrontait ce que l'on venait de faire à ce que Françoise avait monté sur le tournage."
"J'ai rencontré Zach Knighton lors d'un casting à New York. Il n'avait jamais tourné. Il venait de finir des études de comédie et jouait au théâtre. Seymour devait être américain. Impossible autrement. Zach m'a donné l'émotion qu'il fallait pour que l'innocence pervertie de Seymour résonne en chacun de nous."
Le cinéaste évoque l'écriture du scénario de La vie nouvelle avec Eric Vuillard : "Quand on écrivait, les scènes venaient comme si on les arrachait de terre. C'est à un niveau très inconscient, ce n'est pas de l'ordre du savoir. La notion de scène est complètement défaite. La notion de personnage aussi. Les relations sont constamment perturbées, on est dans un climat incertain. Roscoe et Seymour sont-ils deux amis, des amants, un père et son fils, des frères? Ce sont des relations d'une grande intimité, mais une intimité étrange où tout change si brusquement."
Philippe Grandrieux revient sur la manière dont il a essayé de penser La vie nouvelle : "Beaucoup de choses ont été pensées en terme de pression, comme s'il y avait une masse océanique en dessous de la surface des choses, une masse épaisse dont on ne verrait que la houle, la courbe. C'est un film où on trouve son chemin curieusement, avec cette difficulté d'accès que l'on a quand on rêve ou qu'on se laisse aller à la rêverie. C'est "l'âge d'or"."
J'ai cherché longtemps une comédienne à l'Est qui puisse être Mélania, sans y parvenir. Je l'ai trouvée à Paris. Anna Mouglalis avait la beauté qui lui permettait d'incarner cette icône et le courage d'affronter ce rôle difficile."