C’est dans un festival, où leur premier long métrage concourait, que Alejandro Legaspi et Fernando Espinoza ont pu signer un compromis de vente avec un programme de la chaîne de télévision allemande ZDF pour faire un film à Lima. Les deux réalisateurs avaient carte blanche et comme unique consigne que le personnage principal soit une fille. Alejandro Legaspi se rappelle :
"Nous avions en tête cet article trouvé dans un quotidien de Lima, qui abordait la question du travail forcé des enfants. Ces derniers étaient véritablement exploités par un homme qui proposait en échange le gîte et le couvert. L’enjeu fut d’intégrer une jeune fille à ce récit. Avec René Weber, chargé d’écrire le scénario, l’idée nous est venue de mettre en scène une jeune fille qui serait obligée de fuir de chez elle, en raison des violences dont elle était victime de la part de son beau-père. Elle devrait ensuite se « déguiser » en garçon pour pouvoir intégrer la bande d’enfants des rues dont son frère était déjà membre."
L'histoire de Juliana trouve son origine dans un article publié dans un quotidien de Lima qui faisait mention d’un homme qui recrutait des enfants pour les faire travailler dans les bus de la ville. "L’idée fut séduisante et nous avons décidé que le personnage de cette nouvelle histoire serait une fille. Cela nous permettait non seulement d’aborder le thème de l’exploitation des plus jeunes, assez fréquente à Lima, mais aussi celui des mauvais traitements infligés aux femmes", se remémore Alejandro Legaspi.
Pour Alejandro Legaspi et Fernando Espinoza, l'une des expériences les plus intéressantes du processus de réalisation de Juliana a été le travail préalable réalisé pendant trois mois avec le groupe d’enfants retenus. Le premier confie : "La majorité venait de foyers difficiles. Certains d’entre eux ne vivaient plus avec leur famille. D’autres travaillaient dans la rue, lavant des voitures ou exécutant des tâches de ce type. Au cours du travail de casting, nous avons été aidés par un prêtre français, Maurice Audibert, qui travaillait dans une paroisse aux abords d’un bidonville de Lima. Il se trouvait qu’il était en contact avec une ONG chargée d’aider les enfants des rues."
Le travail préparatoire au tournage consistait à louer une maison et à faire cohabiter ce petit groupe d’enfants pendant plusieurs semaines. Chacun avait un rôle précis à tenir, tandis que René Weber corrigeait le scénario et adaptait les dialogues. Parallèlement, José Bárcenas composait la bande originale et leur enseignait le chant. Alejandro Legaspi précise :
"De notre côté, Fernando (Solinas) et moi leur décrivions le film que nous voulions tourner et nous faisions également quelques répétitions. Au cours de ces trois mois, nous leurs avons projeté des films classiques (plusieurs d’entre eux n’étaient jamais allés au cinéma), nous avons créé des jeux, mangé ensemble... En fin de compte, le plus important dans cette étape a été la création de véritables liens d’amitié, tout d’abord entre eux, puis ensuite avec l’équipe de tournage."
Juliana est co-réalisé par Alejandro Legaspi et Fernando Espinoza, qui avaient déjà travaillé ensemble à plusieurs occasions. Le premier explique : "Nous étions très amis et surtout, nous nous connaissions très bien sur le plan professionnel. Au début, nous nous sommes mis d’accord : il avait la responsabilité de diriger les acteurs tandis que je m’occupais de la mise en scène. Cette division des tâches n’a jamais été figée et, à plusieurs moments du tournage, nous avons échangé les rôles. Ensuite, est venue l’étape de la post-production à laquelle j’ai participé aux côtés de Luis Aponte, le monteur de Juliana. Après la journée de travail, je retrouvais Fernando pour visionner les rushes et partager nos points de vue. Enfin, j’ai réalisé le mixage du son et vérifié les copies de laboratoire avec Stefan Kaspar, chargé de la production, dans un laboratoire en Suisse."
Juliana est aussi une exploration de Lima. En l’espace de très peu d’années, il y a eu une véritable explosion démographique en raison de différents facteurs comme l’exode rural ou la guerre civile. "Le centre historique de la ville s’est alors entouré de plusieurs faubourgs peuplés de millions de personnes qui vivaient dans des conditions très précaires. Chaque jour, la violence et la délinquance occupent une place plus importante dans les journaux. Un journaliste étranger a défini la ville de la manière suivante : « À Lima, les pauvres meurent de faim et les riches meurent de peur »", raconte Fernando Espinoza.
Les réalisateurs avaient comme références Oliver Twist de Charles Dickens (l'adaptation de Carol Reed de 1968). Dans un autre registre, ils citent aussi La Raulito du cinéaste argentin Lautaro Murua, dans lequel une fille se faisait passer pour un garçon pour pouvoir survivre dans un monde hostile.
Interpréter cette fille qui se rebelle contre l'ordre établi n'a pas été facile pour Isabel Morfino. La comédienne se souvient : "Tout d’abord, il fallait que j’incarne un personnage du sexe opposé. Et ensuite, au moment du tournage, j’ai dû vivre et interagir avec un groupe de garçons. J’étais la seule fille du groupe. Malgré les taquineries, je suis parvenue à m’imposer. J’ai toujours eu un fort caractère ! Au final, les autres ont fini par me considérer comme étant pareille qu’eux. Pour ce rôle, je me suis servi de mon caractère et de ma personnalité. Cela m’a beaucoup aidée pour travailler certains passages. Il se trouve que j’ai dû affronter moi-même des violences. J’ai alors eu la force d’aller chercher de l’aide, de me défendre et de dire « stop ». En cela, je ressemble beaucoup à Juliana."