Récompensé par trois oscars, dont celui du meilleur acteur pour Gregory Peck, Du silence et des ombres est, avec Un été 42, l’un des films pour lesquels on se souvient le mieux de Robert Mulligan. Sorti en 1963, Du silence et des ombres fait partie de la série de sept films que le cinéaste a réalisé en collaboration avec Alan Pakula, alors producteur, collaboration qui marqua une période particulièrement faste pour Mulligan. Adaptation du best-seller d’Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (également titre du film en version originale), premier et dernier opus de la romancière qui obtint au passage le prix Pulitzer, Du silence et des ombres effectue une plongée dans l’Amérique ségrégationniste des années 1930, vue à travers le regard de Scout, garçon manqué un peu surdouée à ses heures. Considéré aux États-Unis comme un film emblématique, Du silence et des ombres reste un peu méconnu en dehors du territoire nord-américain.
A sa sortie française, après sa présentation au Festival de Cannes en mai 1963, le titre du film eût le même souci de traduction. Le titre orignal du roman et du film To Kill a Mockingbird fut traduit (adapté) par Du silence et des ombres. L’explication du titre est délivrée dans le livre comme dans le film. Le titre vient d’un proverbe américain : « It’s a sin to kill a mockingbird» (c’est un péché de tuer un oiseau moqueur). Selon la légende, l’oiseau moqueur est un oiseau qui aurait appris aux autres à chanter. Il pourrait chanter trente-neuf chants et imiter de nombreux sons.
Cette métaphore de l’oiseau est filée tout au long du roman (et du film) pour souligner l’injustice qu’il y a de blesser des personnes innocentes ou sans défense. L’histoire du film est racontée du point de vue de Scout et de son frère. Elle fait entrer le spectateur dans le monde merveilleux et fantastique des enfants comme a pu le faire aussi La Nuit du chasseur (Charles Laughton 1955 d’après le roman de David Grubb). Des enfants qui finissent par perdre leurs illusions et découvrir le monde imparfait et hypocrite des adultes. Dès l’ouverture du film et son magnifique générique conçu par Stephen Frankfurt (il signa aussi ceux de Rosemary’s Baby, Network ou Superman) le spectateur pénètre littéralement dans la tête, l’imaginaire de Scout. Sur le thème principal composé par Elmer Bernstein, joué au piano note par note, la voix d’une petite fille chantonne et une main d’enfant ouvre une vieille boîte à cigares.
La caméra plonge dans ce petit coffre à trésors rempli d’objets liés à l ‘enfance et les filme en très gros plans (on en retrouvera certains au cours du film). Un crayon (qui dessine des traits et griffonne le titre du film puis un oiseau) une montre à gousset (et son tic-tac), une épingle de nourrice, deux pièces de monnaie, deux figurines sculptées, une bille (qui roule pour en cogner une autre), un collier de perles, un harmonica, un sifflet... Et le dessin de l’oiseau se déchire, le film peut commencer et l’héroïne Scout Finch (en voix off) raconter son histoire : « Maycomb était une ville fatiguée même en 1932, quand je la connus... » Scout, fascinée d’imaginer les pires horreurs sur son voisin Boo Radley et curieuse de suivre le procès de Tom Robinson, jeune Noir accusé à tort de viol et défendu par son père, va finir par comprendre qu’ils sont tous les deux, des « oiseaux moqueurs ». Victimes innocentes des adultes, du racisme et de la société. S’il est un péché de tuer un oiseau moqueur, il en est de même de malmener les innocents que sont Tom Robinson ou Boo Radley. Derrière les apparences d’une peinture mélancolique de l’enfance, le film (et le roman) est aussi un pamphlet contre l’intolérance.
Super fidèle au roman, Harper Lee assista en pleurs à la scène du plaidoyer d’Atticus (le père de Scout et donc d’elle-même) lors du tournage. Elle dit revivre la scène à ce moment-là. Ce père discret joué avec brio par Gregory Peck incarne un monde adulte conscient des injustices; un homme de conviction. Il est lien entre les deux récits (le procès et ce mystérieux voisin). Mais le cœur du film est le récit initiatique que ces trois enfants jouant perpétuellement à se faire peur vont vivre dans l’espace deux étés. Et c’est un peu de la perte de l’innocence de l’enfance qui passe dans ce film avec beaucoup de talent de douceur. Dans son traitement mais aussi dans son esthétique, ce film rappelle beaucoup « La nuit du chasseur ».
Un très grand film sur l’enfance… le plaidoyer anti raciste bien utile en est relégué au second rang
Mon blog: tout-un-cinema.blogspot.fr