Sorti en 1969, dans une France alors en proie aux doutes, aux contestations de l'ordre établi, aux incertitudes politiques de l'après mai 1968, L'Armée des ombres a ravivé des feux mal éteints et le douloureux souvenir de l'Occupation, qui divisa les Français. Certains critiques reprochèrent à Jean-Pierre Melville son indéfectible fidélité au Général de Gaulle, qui incarnait la Résistance Française, et surtout qui fut au pouvoir lors des événements de 1968.
Jean-Pierre Melville a consacré trois films à la vie des Français sous l'Occupation. Le Silence de la mer (1949), adapté du roman paru dans la clandestinité de Vercors; Leon Morin, prêtre (1961), qui marque la première collaboration entre le cinéaste et Jean-Paul Belmondo; et L'Armée des ombres. Melville déclarait alors: "je l'ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C'est un morceau de ma mémoire, de ma chair". Par ailleurs, les thèmes que l'on découvre dans L'Armée des ombres : la fidélité à la parole donnée, la trahison des amis, les codes qui régissent les individus vivant en communauté, se retrouvent dans les autres films du cinéaste, en particulier dans la plupart de ses films noirs.
Le film de Jean-Pierre Melville fait référence à ses propres souvenirs de résistant et à l'action de Lucie Aubrac (dont la vie fera l'objet d'un film signé Claude Berri, Lucie Aubrac, en 1997). L'Armée des ombres se démarque aussi de l'image traditionnelle d'une résistance héroïque soutenue par une majorité de Français. La parole au réalisateur: "Dans ce film, j'ai montré pour la première fois des choses que j'ai vues, que j'ai vécues. Toutefois, ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D'un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance, j'ai fait une rêverie rétrospective; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération".
Avant L'Armée des ombres, Jean-Pierre Melville avait déjà dirigé Lino Ventura dans Le Deuxième souffle, en 1966. Melville retrouve également l'acteur Paul Meurisse, déjà à l'affiche du Deuxième souffle. Quant à Serge Reggiani, qui incarne le rôle d'un coiffeur, il avait interprété un rôle dans Le Doulos.
C'est Eric Demarsan qui a signé la musique du film...Qui était aussi le générique de la célèbre émission "Les Dossiers de l'écran", entre 1967 et 1991.
Jean-Pierre Melville s'est inspiré de véritables réseaux de résistance pour mettre en place ces personnages. Nous retrouvons le réseau de Cohors-Asturies mené par Jean Gosset et René Iché et celui de la confrérie Notre-Dame mené par Gilbert Renault.
La tradition française veut qu'aucune personne portant l'uniforme allemand ne marche sur la place de l'Etoile à Paris et pourtant si Vincente Minnelli n'a pas pu réaliser une telle scène pour Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, Jean-Pierre Melville a réussi à faire accepter cette idée et la séquence en question figure au tout début de son film.
Alors que Bertrand Tavernier était assistant de Jean-Pierre Melville, celui-ci rapporte que Simone Signoret qui interprétait Mathilde, a demandé au réalisateur si son personnage avait trahi ou non, au moment de la scène d'exécution et le cinéaste lui a répondu "Je ne sais pas, c'est toi qui le sais". Une preuve de la totale confiance en son actrice, à qui il a laissé la possibilité d'imaginer ce qu'elle voulait sur le passé de son personnage.
Le film fait partie de la sélection Cannes Classics 2024.