En 1963, John Ford et John Wayne sont sur le point de conclure leur collaboration, « La taverne de l’irlandais » étant leur dernier film en commun. Ils se retrouveront quand Ford donnera un coup de main la même année à Andrew McLaglen sur le « Grand Mac Lintock ». Quinze films ont permis de sceller une solide amitié entre les deux hommes. Tout le monde a un peu vieilli en 1963 et les aventuriers de l’Ouest sont désormais partis se ressourcer après bien des exploits dans une île lointaine du Pacifique. Un peu vieillis peut-être, mais l’envie d’en découdre à poings nus comme autrefois dans les saloons du grand Ouest est toujours là, chevillée au corps. C’est donc Lee Marvin l’homme qui monte, dit Gilhooley, baroudeur au front étroit qui se charge de dégourdir les articulations un peu rouillées du Duke afin de lui permettre de conserver une forme acceptable pour être encore capable de conter fleurette à miss Amelia Dedham. Chef d’entreprise à Boston, cette dernière est venue vérifier sur place, dans le cadre d’une succession, que son père médecin qu’elle n’a jamais connu mène une vie dans l’ordre moral. Même transposé dans une île paradisiaque, l’univers de Ford reste bien présent et le vieux réalisateur parvient encore à insuffler à cette gentille aventure l’atmosphère et l’imagerie de ses plus grands westerns, le souffle épique en moins. Même à un âge avancé, Ford reste un optimiste convaincu qui croit en la capacité de l’homme à vivre en harmonie avec la nature et ses semblables dans le contexte de petites communautés retranchées, dans un fort de garnison avec « Massacre de Fort Apache » ou dans une île avec « La taverne de l’irlandais ». Cette vision idéale est forcément un peu naïve et artificielle mais elle réchauffe le cœur et c’est bien la fonction du cinéma que de nous faire rêver. L’ensemble un peu anarchique se déroule dans une bonne humeur communicative mais un peu machiste clairement exprimée par la fessée finale donnée par John Wayne à sa future femme pour lui rappeler qui portera la culotte. Sans que Ford en soit réellement conscient, son film dégage parfois un parfum de colonialisme tant les indigènes ne sont là que pour assurer la logistique des aventures picaresques de tous ces blancs qui en réalité ne sont que des intrus sur une terre qui n’est pas leur. Cesar Romero figure emblématique du diplomate sûr de lui et de sa domination montre que Ford n’est pas complètement naïf sur cette question là. Le vétéran d’Hollywood a suffisamment démontré son attachement à la cause indienne dans ses westerns pour que l’on ne vienne pas ici le taxer de racisme . Le film est simplement le reflet d’un état d’esprit tellement ancré dans l’imaginaire populaire que plus personne n’y prête attention. « La taverne de l’irlandais » c’est un peu la retraite des révoltés du Bounty à Pitcairn qui se serait prolongée. C’est l’occasion de revoir des acteurs un peu oubliés à l’époque comme Dorothy Lamour , Cesar Romero ou Marcel Dalio. Très rafraîchissant si on consent à retrouver son âme d’enfant quand on croyait que c’est ainsi que seraient nos vies d’adultes.