Le grand illustrateur et regretté Jean Giraud, plus connu sous le pseudo de Moebius, a régulièrement collaboré avec le monde du 7e art : Abyss, Willow, Alien, le 5e élément…et le film de Steven Lisberger, Tron. En fait, c’est à partir des années 70 que les cinéastes, en particulier à Hollywood, se sont mis à lui demander de travailler sur des dessins conceptuels et des Story-Boards ; impressionnés par son travail dans le magasine culte Metal Hurlant. C’est d’ailleurs en découvrant son travail dedans que David Lynch lui demanda de collaborer avec lui pour son film Dune. Dans un entretien accordé en octobre 2010 au magasine Amusement, Jean Giraud revient sur son expérience pour Tron, premier film de l’histoire à intégrer des images de synthèse : "je suis très fier d’avoir fait Tron. Ce film reste basé sur une histoire mais le fait qu’il soit fait d’images de synthèse change tout. A l’époque pour m’expliquer ce qu’étaient ces images que personnes ne connaissait, on m’a emmené au M.I.T. [le Massachusetts Institute of Technology] voir les gens qui mettaint ça au point. J’ai découvert des ingénieurs qui travaillaient sur de petits écrans avec des ordis de 3000 tonnes enfermés derrière eux dans des pièces réfrigérées. C’était tellement extraordinaire que j’étais ahuri, en overdose d’informations. Je n’ai jamais pu retranscrire tout ce que j’avais vu. Mais ce que faisaient ces ingénieurs, ça c’était génial parce qu’ils étaient mandatés pour faire des epxérimentations, c’était des explorateurs armés de logiciels et de principes mathématiques. Les mecs devaient réaliser des animations en boucle et en perspective. Et comme ils n’avaient aucune notion artistique, ils faisaient ça avec des girafes, des pianos, des ronds. Sur leurs écrans ça donnait de drôles de manèges qui tournaient dans tous les sens. Et voilà, sans le savoir, ces ingénieurs étaient dans l’essence absolue du cinéma, c’est-à-dire un art fascinatoire. Essentiellement fascinatoire". Si le dessinateur était au départ plutôt chargé du plateau et des costumes, Syd Mead se concentrant sur les véhicules et Peter Lloyd sur les "environnements", en réalité les trois hommes collaborèrent avec plus de souplesse, Moebius œuvrant par exemple à la création du Solar Sailer (voilier solaire).
Le jeu d'arcade Tron fut un des premiers à symboliser la synergie entre l'industrie du cinéma et celle des jeux vidéo, dans les premières déclinaisons de licences de films en jeux. Et fut aussi le premier à capitaliser autour de l'aura du film. Il s'agit d'un juste retour des choses pour le réalisateur du film, Steven Lisberger. La génèse de Tron est marquée par le souci du cinéaste de marier le cinéma et le jeu vidéo naissant; un univers pour lequel il manifestait le plus vif intérêt. Déclinaison somme toute logique pour une histoire démarrant dans une salle d'arcade et se prolongeant en affrontements au coeur d'un programme informatique, le premier jeu Tron proposait des minis épreuves reproduisant par exemple les fameuses courses de Lumicycles, ces motos au design aussi épuré qu'élégant. En 1983, une suite sort en salle d'arcade : Disc of Tron, et se focalise cette fois-ci sur les duels mortels de frisbees. La licence Tron a ainsi continuée à perdurer, notamment au travers de multiples adaptations sur bornes d'arcades et consoles de jeux, en passant par l'expérience FPS (First Person Shooter) Tron 2.0 sorti sur PC en 2003. En 2011, c'est Tron Evolution, développé par le studio Propaganda Games, qui accompagne la sortie du film de Joseph Kosinski. Pourquoi ce titre ? Parce que le jeu développe un arc narratif original se situant entre le premier film et les événements évoqués dans Tron l'héritage.
Dire que Tron a largement influencé toute une génération non seulement de cinéastes, de Designers, réalisateurs de pub et autres créateurs de jeux, relève de l’euphémisme. Le film a laissé une marque durable dans la Pop culture. A tel enseigne que, si l’on fait abstraction d’un "Tron 2" avorté, son prolongement cinématographique s’intitule L’héritage. Un mot à double sens d’ailleurs. L’héritage entre le héros original, un père et son fils dans le nouveau film d’abord. Et celui de la place qu’occupe Tron dans l’imaginaire collectif, ensuite. Avec son esthétique glacée et futuriste, le film fut à sa sortie en 1982 perçu comme expérimental par la critique, mitigée, et le public américain plutôt déconcerté par le spectacle qui s’offrait à eux. Bien que les 33 millions de dollars de recette aux USA finirent par amortir les quelques 17 millions de dollars du budget, le film de Steven Lisberger fut un échec commercial. Ce n’est que progressivement que le film gagna ses galons de film culte, à commencer au sein des cercles de cinéphiles branchés et de Gamers, puis élargit grâce à l’âge d’or des vidéos club. Pionnier dans l’utilisation des images générées par ordinateur, inventeur des avatars qui peuplent plus que jamais le cyber-espace d’aujourd’hui, Tron anticipe les tendances technologiques et esthétiques de la décade à venir. Pour la première fois, les spectateurs sont plongés au cœur même des entrailles des ordinateurs ; des machines qui n’entreront en masse dans les foyers et les bureaux qu’au moins quinze ans plus tard.
Il est important de replacer la sortie du film dans son contexte. A la fin des années 1970, les studios Disney tentent de se positionner sur un créneau plus adulte que ses productions passées, avec notamment le film de Science Fiction Le Trou noir. Sorti en 1979, alors que la saga Star Wars a pulvérisé le Box Office en 1977, le film n’eut pourtant pas le succès escompté. Et-ce en dépit d’un budget, colossal pour l’époque, de 20 millions de dollars. Trois ans plus tard, c'est un peu le chaud et le froid qui est soufflé en matière de SF sur grand écran. Si Spielberg triomphe et fait pleurer des millions de familles avec son E.T, le surdoué Ridley Scott essuie un violent revers critique et commerciale avec Blade Runner. De son côté, Disney continue sur sa lancée...et enchaîne les échecs. En 1981, avec ce qui reste sa seule tentative d'incursion dans le domaine du fantastique / épouvante avec le curieux les yeux de la forêt, la Major prend une nouvelle gifle au Box Office. Même constat avec la sortie de Tron en 1982. Des prises de risques finalement énormes et au bout du compte payantes, si l'on peut dire, avec la création par Disney de la société Touchstone. Un label qui produira quelques uns des triomphes au Box-Office dans les années à venir et la remise à flots du studio aux grandes oreilles : Splash, Pretty Woman, Le Cercle des poètes disparus, Good morning Vietnam…
La vénérable Academy of Motion and Picture Arts and Sciences refusa de nommer le film à l’Oscar des effets spéciaux à l’époque. Pourquoi ? Parce qu'elle estimait, selon ce qu’en rapporte son réalisateur Steven Lisberger, que recourir à des ordinateurs revenait à "tricher", au regard des autres techniques (maquettes, etc.). Tron fut néanmoins cité dans les catégories "Meilleur son", pour récompenser le fantastique travail sur le Design sonore de Michael Minkler, Bob Minkler, Lee Minkler et James LaRue. Ainsi que celle des costumes pour souligner le travail d'Eloise Jensson et Rosanna Norton. A noter par ailleurs que Ken Perlin, professeur au Département des Sciences informatiquesà l'Université de New York et Directeur du Games for Learning Institute, remporta en 1997 un Oscar avec la mention "Technical Achievement Award" pour sa contribution (indirecte) au film, mais également dans d'autres productions cinématographiques et télévisées. La raison ? C'est l'inventeur de "la texture procédurale". Un barbarisme (ultra) technique qui est en fait une image générée par ordinateur, utilisant un algorithme capable d'offrir un rendu "réaliste" de matières naturelles, telles que le bois, le métal, le granit, le marbre, les pierres...
Ovni cinématographique tout juste identifié à l'époque, Tron concentre et anticipe une poignée de mouvances à défaut de les lancer. Sans que les observateurs, et sans doute l'auteur, Steven Lisberger, ne le mesurent vraiment, Tron propose dès 1982 un instantané de la décade à venir. La froideur fluorescente des tenues et ses personnages incarnés - désincarnés dans leurs uniformes lisses ornés de circuits imprimés annonce la déferlante musicale New Wave des Frankie Goes to Hollywood, Depeche Mode et autres New Order. Après les paillettes et le glam, les néons vont devenir le nouveau symbole planétaire de la société de consommation, de la modernisation et de l'internationalisation de la vieille Asie, du Japon à la Chine en passant par Hong Kong. Autant de signes de clairvoyance qui permettent à la suite de Tron, Tron l'héritage, de reprendre presque tel quel l'esthétique du film de 1982, et garder une modernité qui existe au-delà de l'hommage kitsch. Aujourd'hui, l'héritage de Tron peut même se décliner sans rire dans une ligne de vêtements tout ce qu'il y a de plus sérieuse pour hommes et femmes, signée par la marque Opening Ceremony.
Officiellement, le titre du film (et le nom du personnage éponyme), Tron, vient du terme elecTRONic. Cela étant, la fonction Trace on, qui permettait sur les anciens systèmes informatiques de suivre le fonctionnement d’un programme, était couramment désignée ainsi ("tron", soit la contraction des deux termes). Néanmoins cette seconde "étymologie" a été écartée par Steven Lisberger lui-même. Et tant qu'à parler de programmes informatiques, il fauts avoir qu'au départ, les "bons" programmes dans le film devaient être caractérisés par des lignes de circuit jaunes, tandis que les "méchants" devaient être surlignés de bleu. Finalement la couleur bleue revint aux bons, les méchants héritant du rouge. Mais ces choix de couleurs initiaux n'ont pas complètement disparu du film et demeurent dans certaines scènes, fait qui peut également être relevé dans la bande-annonce originale américaine, où MCP (acronyme de "Master Control Program") apparaît en bleu sur un plan, tandis que les héros apparaissent à plusieurs reprises en jaune.
Lorsque Lisberger et son équipe eurent convaincu Disney (qui remania substantiellement le scénario), ils se heurtèrent à l’accueil glacial des animateurs maison, peu habitués à travailler avec des gens de l’extérieur. Beaucoup d’animateurs refusèrent d’ailleurs de travailler sur le film, redoutant que l’informatique ne finisse par rendre obsolète leur activité. Cela étant, l’équipe constituée ne manquait pas de talents, un certain Chris Wedge (futur réalisateur de L'Âge de glace) en faisait par exemple partie; tout comme un animateur appelé à une brillante carrière quelques années plus tard : Tim Burton. 22 ans plus tard, Disney fermera d’ailleurs le studio d’animation traditionnelle ("à la main"), pour privilégier l’animation via ordinateurs… avant que cette animation traditionnelle ne soit relancée à l’initiative de John Lasseter, pourtant maître du CGI (computer-generated imagery : images générées par ordinateur) et boss de Pixar, dont la première production animée fut Toy Story, premier film d'animation entièrement réalisé en images de synthèse. Le même Lasseter qui n’a jamais manqué de dire à quel point Tron l’avait aidé à percevoir le potentiel du CGI dans la production de films animés, allant jusqu’à affirmer que "sans Tron, il n’y aurait jamais eu Toy Story".
Le culte autour de Tron ne cessant de s'étendre depuis sa sortie en 1982, Steven Lisberger retourna proposer un second film à Disney il y a une quinzaine d’années. Un nouvel épisode qui aurait été centré sur les moteurs de recherches. Le studio aux grandes oreilles n'a pas franchement été emballé par le concept…Les projets de suite se sont par ailleurs multipliés, sans aboutir. John Lasseter aurait également tenté de lancer un remake pour le XXème anniversaire, sans plus de résultat immédiat. Toutefois, un an plus tard, le jeu Tron 2.0 témoignait de la vivacité du mythe et se faisait l’écho de ces tentatives, avant qu’en 2004 puis surtout l’année suivante ne soit enfin mise en chantier une suite.
Tron, en 1982, c’est donc déjà une histoire de Gamer : l’idée de développer Tron serait venue à Steven Lisberger en 1976 après avoir découvert l’ancêtre des jeux vidéos, Pong. Dans le film, lorsque Tron et Ram s’échappent de l’arène lors de la course de motos-lumière, Pac-Man fait une brève apparition sur l’écran de contrôle de Sark. Autre clin d’œil, plus Disney que geek cette fois-ci, les contours de la très reconnaissable frimousse de Mickey apparaissent sous le voilier solaire lorsque les héros voyagent vers le MCP. Et puisqu'on parle un peu de jeux vidéo, voici une autre anecdote : durant le tournage, des jeux d’arcade furent mis à disposition pour les moments de pause. Aux dires des témoins, Jeff Bridges aurait été le plus accro des gamers de l’équipe, ayant parfois du mal à s’extirper des jeux pour revenir tourner…
Même s’il fut avant-gardiste à bien des égards, le film contient moins d’images de synthèse générées par ordinateur qu’on pourrait le penser : seulement 15 à 20 minutes d’animation de ce type furent véritablement utilisées, aux dires d’Harrison Ellenshaw, superviseur (avec Richard Taylor) des effets visuels. Par ailleurs, si l'animation par ordinateur fut bien utilisée pour certaines scènes, ce n'était en revanche techniquement pas possible de filmer en même temps à la fois les acteurs et l'animation. Ainsi, les scènes Live furent combinées avec des dessins réalisés...à la main ! C'est au montage que la magie opéra. Un montage très cut, comme lors de la fameuse séquence de poursuite en lumicycles, donna alors l'illusion que les plans mélangeaient bien les acteurs et les animations générées par ordinateur. On précise enfin que la Laser Bay d’ENCOM dans le film n’est pas qu’un décor : il s’agissait en effet du laser utilisé à l’époque par le Lawrence Livermore National Laboratory pour ses recherches sur la fusion nucléaire. De même, les bureaux / cabines des programmeurs d’ENCOM sont en réalité ceux des programmeurs du Walt Disney Company's Information Technology Group, décorés de manière à donner l’impression d’être plus vastes.