Dès son titre le film pose une ambiguïté. « The Bad and the Beautiful ». S’agit-il de l’opposition entre deux personnages : Jonathan Shields (Kirk Douglas) the Bad et Georgia Lorisson (Lana Turner) la Beautiful ? Ou plus probablement les deux aspects de la personnalité de Shields, charmeur ou abject, dont la fin justifie tous les moyens à ses yeux. Homme fragile qui souffrit dans son enfance à l’ombre d’un père dictatorial (dont la photo est celle de Jack Warner le concurrent détesté par Louis B. Mayer), qui peut éprouver des sentiments : amitié, admiration, amour, mais prêt à tout sacrifier pour réussir les films qu’il produit, ne reculant devant aucune manipulation, si vile soit-elle. Ce portrait de David O’Selznik, que Minnelli n’appréciait pas, offre aussi une certaine ironie acide, car le grand film sur la guerre de sécession qui se plante lamentablement est bien sur “Gone with the Wind” (Autant en emporte le vent).
Découpé en trois flashes back, chacun représente un étage de la descente (morale) aux enfers de Shields. Tous inspirés de personnages réels. A commencer par Fred Amiel (Barry Sullivan) de Maurice Tourneur (Minnelli au passage se moque de CAT PEOPLE et des séries B fantastiques), qui eut maille à partir avec le producteur Val Lewton. Puis Georgia Lorisson (Lana Turner), fille alcoolique d’un acteur fameux est clairement basée sur Diana Barrymore. Enfin le couple Bartlow (Dick Powell et Gloria Grahame) l’est du couple F. Scott et Zelda Fitzgerald. Cette démonstration en règle d’un système auquel appartient pourtant le réalisateur qui après le succès de « Meet Me in St Louis » put faire le cinéma qu’il désirait (les majors d’aujourd’hui ne financeraient pas un film comme « The Clock »).
Elégant quant à la mise en scène avec la caméra de Robert Surtees (oscarisé) aux éclairages si significatifs qu’ils en deviennent illustratifs des situations, aux travellings si fluides qu’ils ne se remarquent pas. Exigeant dans les décors, l’ancien métier de Minnelli à Broadway, pour lesquels Cedric Gibbons, Edward Carfagno, Edwin B. Willis et Keogh Gleason reçurent un Oscar. Ce film somptueux met une fois de plus en exergue la qualité exceptionnelle de la direction d’acteur du cinéaste. En effet, Lana Turner, actrice fragile, se réfugiant derrière son physique, à la réputation d’un jeu limité et cantoné dans les rôles de femme sexy ou de garce ou les deux de manière presqu’exclusive si l’on excepte sa transparente apparition dans le « Dr Jekyll & Mr Hyde » de Fleming dix ans plus tôt, manquait de confiance en elle face à celui qui était considéré comme le directeur prodige de la MGM. Minnelli débriefa avec elle la première scène qu’elle venait de tourner, lui démontrant qu’elle n’était pour rien dans chacune des reprises. Sa carrière de grande actrice commença avec ce film (1). De même, selon Kirk Douglas, le réalisateur en lui expliquant que son personnage serait d’autant plus odieux qu’il serait doux et sympathique, plutôt que violent et agressif, plus ambigu que manichéen, ouvrit des possibilités d’interprétation qu’il ne soupçonnait pas en lui. Enfin, l’insignifiante Gloria Grahame livre une prestation oscarisée, malgré le peu de temps à l’écran.
Ce chef d’œuvre incontestable est aussi, avec « The Band Wagon » (Tous en scène), le sommet de l’œuvre cinématographique de ce génie. La profession, plus rancunière qu’il n’y paraît au travers des cinq oscars attribués, ne le retint pas pour celui du meilleur film, ni du meilleur réalisateur. Pourtant à chaque nouvelle vision, le seul regret est que malgré près de deux heures, le film paraît trop court.
(1) Minnelli avec sa gentillesse et sa patience désinhiba ainsi l’immense talent de la star. Elle obtiendra une nomination pour « Les plaisirs de l’enfer » de Mark Robson (1958) et surtout livrera une extraordinaire performance dans le « Mirage de la vie » de Douglas Sirk l’année suivante.