La chaîne TMC nous a fait grâce en cette date du 6 août 2017 de diffuser un vieux film. Un film comme on n’en fait plus. Un film dans lequel l’humour n’a pas été poussé à outrance, contrairement à la méthode actuelle du cinéma français qui consiste à faire rire le spectateur coûte que coûte. Non, ce film respire la simplicité. Simplicité dans sa mise en scène, simplicité dans le scénario, simplicité dans le jeu d’acteur, simplicité dans le propos et simplicité dans les décors. Il est tellement simple qu’il fait plus ou moins penser à une pièce de théâtre, jusque dans les répliques, lesquelles sont peuplées de mots aujourd’hui inusités, supplantés par des mots venus de nulle part, trouvant leur inexistante étymologie… dans les cités. La résonance du son, les décors, les costumes, les dialogues, tout cela plonge sans aucune difficulté le spectateur dans le charme suranné des années 50. Sur un scénario d’Arlette De Pitray (dont c’est apparemment sa seule contribution au cinéma), Jean Boyer (à qui on doit "Le passe-muraille", déjà avec Bourvil) nous amène dans un village tranquille de Normandie, Courteville (en réalité La Vieille-Lyre, petite bourgade située à 35km d’Evreux). Tranquille ? Pas pour longtemps ! L’effervescence va vite monter autour d’un héritage quelque peu singulier. Hippolyte Lemoine se voit léguer par son défunt oncle Célestin une auberge nommée Le trou Normand, au grand dam de sa tante Augustine. Une banale affaire de famille en somme, c’est vrai. Mais toute l’essence est tirée du fait qu’Hippolyte est un benêt très naïf âgé d’une trentaine d’années, alors que la tante Augustine est en réalité une pimbêche qui ne veut qu’une chose : faire main basse sur l’héritage. Pour cela, elle va imaginer toutes les manigances possibles et imaginables en se servant de sa fille Javotte (Brigitte Bardot, dans son tout premier rôle). Et si elle a décidé de récupérer l’auberge, c’est parce qu’elle estime qu'elle doit lui revenir de droit. Or il y a une faille, outre le fait que son neveu soit plus ou moins l’idiot du village, Hippolyte n’héritera de l’établissement qu’à la seule et unique condition suivante : l’obtention du certificat d’études dans l’année en cours. Une faille qu'elle va décider d'exploiter. Il en résulte un film frais et léger qui se regarde avec un certain plaisir. Pour cela, il ne faut pas se laisser ennuyer par un début un poil laborieux, notamment avec une première apparition de Roger Pierre à la limite de la caricature, et qui se poursuivra à chacune de ses apparitions durant ce long métrage. Quant à Bourvil, on le voit très tôt en indélicatesse avec une paire de chaussures : est-ce donc cette scène qui a inspirée l’une des plus célèbres scènes de "La grande vadrouille" quand Bourvil échange ses chaussures avec Louis De Funès ? Peu importe. Le fait est qu’il fait un parfait benêt, Hippolyte reprenant même le terme de corniaud utilisé par un membre de sa famille à son égard. Un terme fort, si fort que je le soupçonne d’avoir inspiré douze ans plus tard la comédie de Gérard Oury "Le Corniaud". Peu importe là aussi. Bourvil nous régale déjà d’un genre de rôle qui le poursuivra durant une grande partie de sa formidable carrière. Il s’ensuit de nombreux cabotinages, parfois un peu trop poussés, surtout une fois qu’il a rejoint les bancs de l’école (des bancs d’école devenus depuis de vraies pièces de collection, au même titre que les plumiers). En total contraste, Jane Marken interprète la tante qui ne jure que par l’appropriation de l’auberge. Et je dois dire qu’elle me rappelle quelqu’un, tant physiquement que psychologiquement (ma propre tante... si! si!) : pas grande, un peu boulotte, sa jalousie et son goût prononcé envers le désir d’être le centre d’intérêt la poussent à influencer son entourage pour parvenir à ses fins. Du coup, cette femme, imbue de sa personne (veuillez m’excuser de cette expression), pète plus haut que son cul ! Cela en fait un personnage vil, d’une délicieuse méchanceté (délicieuse quand nous ne sommes pas directement concernés, hein) au point qu’elle nous estomaque tantôt par ses propos, tantôt par ses basses manigances. Des manigances qui la font jouer sur les sentiments des uns et des autres. Le spectateur se plaira à la détester, et son plus vif ravissement se manifestera quand il verra que... eh bien vous verrez !
...les effets obtenus sont à l’exact opposé de ceux qu’elle attendait.
De mon côté, Jane Marken incarne un personnage aussi vrai que nature, voire plus encore. C’est pour cette raison que je lui donne ma mention spéciale. Au milieu de cette bataille, se trouve la fille d’Augustine, donc la cousine d’Hippolyte : Javotte, incarnée par Brigitte Bardot qui fait ici sa première apparition sur grand écran. Et déjà, elle se trouve dans un genre de rôle qui la poursuivra tout au long de sa carrière cinématographique : une femme qui fait tourner les cœurs grâce à son physique, alors qu’elle n’a pas encore 18 ans. Le très attachant Hippolyte (Bourvil) et le très agaçant Marco (Roger Pierre) en font les frais ! Pourtant; dans le fond, on ne peut pas dire qu’elle s’avère très sympathique… Après, qu’avons-nous ? La réalisation est assez conventionnelle, mais offre quelques petits avantages, et pas des moindres. D’abord elle réserve l’air de rien son petit lot de dénonciations. Outre le fait que certains sont suffisamment m'as-tu vu pour ne pas respecter les dernières volontés d’un proche (heureusement, la pièce juridique qu’est le testament est là pour les protéger), le spectateur constatera par lui-même combien les journalistes sont friands d’anecdotes parfumées au goût de doux scandale, aussi locales soient-elles. De vrais rapaces. De vrais rapaces à qui on peut faire dire n’importe quoi par la manipulation, du moment que c’est particulièrement vendeur. Ce n’est pas tout. De grands moments nous sont réservés aussi, et c’est ce qui me fait remonter la note de 3,5 à 4 : la chanson chantée par Bourvil. Elle est complètement inattendue, mais elle fait tant colonie de vacances qu’elle en est jouissive. Et ensuite, la chute de l’histoire : inattendue elle aussi, et toute aussi jouissive. Bien que ce ne soit pas le film le plus connu de Bourvil, "Le trou normand" est donc un charmant programme dont le point de départ repose sur un fichu édredon réservé au patron de l’auberge, un bel édredon qu’Hippolyte entend bien ne pas laisser à sa tante. La preuve en est dans la conviction qu’il met quand il décide qu’Augustine n’aura pas ce foutu édredon. A quoi ça tient, des fois !!! :-))