« On ne dit rien à sa femme quand on a épousé une banque ! Ça se paie, la fortune, c’est ce qui coûte le plus cher. »
Henri Verneuil a collaboré avec Michel Audiard neuf fois, Jean Gabin cinq (ce Président est leur deuxième film ensemble), Bernard Blier trois fois seulement. En revanche, Audiard et Gabin, c’est 17 films, Audiard et Blier, 18. Voilà pour les chiffres et l’intime relation du réalisateur à son scénariste et dialoguiste, et celle de ce dernier à ses acteurs fétiches. Ajoutons pour la petite histoire que Jean Gabin a joué dans une dizaine d’adaptations de Georges Simenon, dont trois Maigret.
Des chiffres, il en est question dans le début du film. L’action se passe sous la IVème République, quand le Président du Conseil (le Premier Ministre) était l’homme fort du pays. Retraité toujours écouté des grands de ce monde, il dicte ses mémoires à sa secrétaire et repense alors à un épisode de sa carrière qui l’a meurtri, le moment où il a dû décider de dévaluer la monnaie nationale. Ce début, lent et peut-être complexe à qui ne maîtrise pas la politique, tient la route grâce à la caméra légère de Verneuil et à l’interprétation toute en sobriété de Jean Gabin et des autres interprètes, Bernard Blier, Renée Faure, Henri Crémieux, Louis Seigner, Alfred Adam.
Il faut ainsi attendre une bonne demi-heure pour qu’un scandale éclate et lance vraiment le film, sur un ton beaucoup plus enlevé malgré encore quelques scènes plus lentes. Dans les faits, un Simenon énergique, c’est plutôt rare. Le Président égrène ainsi ses souvenirs en forme de flashbacks, dans une œuvre originale, filmée avec fluidité et interprétée à la perfection, avec plusieurs points d’orgue, comme cette scène de diatribe à la Chambre, devenue culte, ou d’autres non dénuées d’une certaine émotion.
(Au rayon des curiosités, on notera qu’un conseil des ministres et un parlement uniquement composés d’hommes paraissent aujourd’hui complètement incongrus et qu’Audiard, pourtant anarchiste revendiqué, pourfendant l’autorité et l’État, dresse ici le portrait d’un gardien de celui-ci.)
Le Président est, au final, un film certes lent, mais dense et assez inclassable, un « portrait du siècle » porté par un Gabin impérial dans un rôle simenonien positif.