En 1955 et 1956, Luis Buñuel alors dans sa période mexicaine, tourne deux films en langue française. Tout d'abord "Cela s'appelle l'aurore" qu'il tourne en France avec Georges Marchal et Lucia Bosé suivi de "La mort en ce jardin", film d'aventures de facture plutôt classique pour lequel il rejoint le Mexique avec une pléiade de vedettes françaises dont Georges Marchal, Simone Signoret, Michel Piccoli et Charles Vanel. Pour l'adaptation du roman éponyme du romancier belge José-André Lacour paru en 1954, il fait appel à Luis Alcoriza son fidèle collaborateur avec qui il a écrit deux de ses chefs d'œuvre ("Los Olvidados" en 1950 et "El" en 1953). La transposition posant des problèmes à Buñuel, il sollicite son ami Raymond Queneau qui débarque au Mexique. Le film est clairement scindé en deux parties. Une première qui sert d'exposition à des personnages typiques du film d'aventures que Buñuel pousse jusqu'à la limite de la caricature, située dans une exploitation diamantifère du Mexique que le gouvernement vient de décider de nationaliser, provoquant la révolte des chercheurs étrangers venus tenter leur chance à l'autre bout du monde. Parmi eux, Chark (Georges Marchal), archétype de l'aventurier robuste et charmeur mais aussi sans foi ni loi, Djin (Simone Signoret) la femme de mauvaise vie à la beauté ravageuse dont on se demande comment elle a pu atterrir dans ce coin perdu, Castin (Charles Vanel) le chercheur en bout de course qui sans trop y croire se rêve une nouvelle vie, Maria sa fille (Michèle Girardon) sourde et muette représentant la seule beauté virginale dans une atmosphère viciée et enfin le père Lizzardi (Michel Piccoli) prêtre tiraillé entre sa foi et les accommodements inhérents à sa charge. La révolte, un court instant, collective devient vite anarchique face aux intérêts individuels. Les cinq personnages choisis par Buñuel qui ont déjà largement montré leurs faiblesses respectives se retrouvent en fuite dans la jungle mexicaine (extérieurs tournés à Catemaco dans l'Etat de Vera Cruz et à Molino de Flores et Texcoco dans l'Etat de Mexico). Commence alors la deuxième partie, filmée comme une sorte de huis clos au fin fond d'une jongle aux allures fantastiques (magnifique photographie de Jorge Stahl Jr.), tout à la fois mère accueillante et ogresse inquiétante. Buñuel toujours fasciné par la complexité humaine profite de cet enfer vert pour montrer comment les comportements mutent vers l'intérêt collectif quand l'intégrité individuelle est menacée pour revenir aussitôt vers l'individualisme forcené à la moindre sollicitation du bas instinct le plus communément partagé, celui du gain. Ici la découverte providentielle d'une carcasse d'avion récemment écrasé rempli de vivres mais aussi de bijoux va se révéler être le déclencheur de "la mort en ce jardin". Le réalisateur parsème son film de ses obsessions habituelles mais reste tout de même assez fidèle aux canons du genre. Dans ce domaine précis, il est bien évident qu'il n'a pas la verve épique et le sens du dérisoire d'un John Huston dont "Le trésor de la Sierra Madre " (1948) se situe tout de même quelques coudées au-dessus de cet exercice de style chatoyant qui vaut beaucoup pour sa photographie et son casting de première classe où Michel Piccoli affirme encore une fois son talent protéiforme, Simone Signoret montre qu'elle sait toujours être incendiaire et Charles Vanel dans la droite ligne de son personnage pathétique du "Salaire de la peur" (Henri-Georges Clouzot en 1953) est comme toujours impeccable de justesse. Une curiosité assurément dans la carrière du grand cinéaste espagnol qu'il convient de ne pas ignorer.