"Gravity" m’a donné envie de revoir les précédents films d’Alfonso Cuaron, notamment ce "Y tu mama tambien !" (2001) dont le souvenir commençait à s’estomper. A l’époque, le réalisateur sort juste de deux expériences hollywoodiennes, un film pour enfants ("La Petite Princesse") pour la Warner, et une fresque romanesque ("De Grandes Espérances", d’après Dickens) pour la Century Fox. Deux films de commande, où s’affirme déjà son exceptionnel talent de metteur-en-scène – "La Petite Princesse" lui valant même une nomination pour les Oscar. Cuaron décide pourtant de rentrer au Mexique et de se consacrer à un projet plus personnel. "Y tu mama tambien", dont il signe aussi le scénario, est donc ce film imaginé contre les précédents, sorte de manifeste pour un cinéma libre, décadenassé des conventions des studios. Cuaron a alors un fils de 16 ans, Jonas (qui deviendra le coscénariste de "Gravity"). C’est en fait pour lui qu’il choisit de raconter cette histoire d’adolescents, en réaction aux teenage movies formatés et interchangeables qui sortent à l’époque. Julio et Tenoch ont 17 ans. Abandonnés par leurs copines, parties en voyage en Europe, ils se résignent à passer l’été à Mexico avec le programme standard : boire, fumer et se tirer sur l’élastique. Dans un mariage, ils font la connaissance de Luisa, jeune espagnole de 10 ans leur ainée. Ils la draguent sans y croire, s’inventant le projet d’une virée à la mer. Ils improvisent en riant le nom d’une plage sauvage et secrète : "la boca del cielo". Contre toute attente, Luisa va les rappeler et accepter leur proposition. Julio réussit à négocier pour 5 jours la vieille voiture de sa sœur, et le trio se lance sur les routes. Les hormones à donf, les 2 garçons sont trop contents de leur bonne fortune. Ils sont bavards et espiègles, vantards et au fond pas très sûrs d’eux-mêmes, mais ils sont cools. Leur simplicité convient tout à fait à Luisa. Ça la change des soirées dans lesquelles l’amenait son mari, un universitaire poseur et sentencieux. Entre cette jolie fille, délurée et mal mariée, et ces 2 ados obsédés par le sexe, le voyage se transforme sous nos yeux en une ode à la liberté, à la fois élégiaque et sensuelle. Mais "Y tu mama tambien" n’est pas que ce road movie décomplexé, cette histoire un poil osée de 2 ados décrochant la timbale, Alfonso Cuaron s’y impose aussi comme narrateur, un narrateur omniscient bien-sûr, par une voix-off qui vient interrompre ou prolonger les scènes. Un procédé abrupt et un peu crâne, qui surprend la 1ère fois. Habituellement, la voix off c’est du velours, un élément idéalement fondu dans la bande son. Ici, elle vient en rupture, le son direct est coupé, comme dans un bonus DVD où on aurait enregistré à la schlague le commentaire audio du réal. Le résultat est saisissant. Le film avance constamment sur 2 points de vue, la voix-off intervenant pour donner des détails familiaux, préciser le contexte, mettre cette chronique intime dans une perspective plus globale, celle d’une société mexicaine dont le road movie entend faire aussi l’exploration. Et nous livrer surtout ce que les personnages n’avoueront jamais, trop attentifs à la représentation qu’ils donnent d’eux-mêmes ou à leur célébration de l’amitié. Le film prend alors une densité, une gravité assez rare. Jusqu’au dénouement, dont la mélancolie, je le sais, va me poursuivre longtemps.