Avec Billy Wilder au scénario et toute une panoplie de tête d’affiche, le cinéaste berlinois Ernst Lubitsch frappe fort en 1939 avec « Ninotchka », car loin d’être une simple histoire d’amour entre un aristocrate parisiens et une « femelle soviétique » en mission à Paris, le film se révèle une véritable satire politique.
C’est pourtant dans un contexte tout autre que débute le film, trois compères soviétiques marquent leur arrivée dans un luxueux palace parisien d’une manière bien loufoque, leur but ? Vendre des joyaux ayant appartenu à une aristocrate russe. Mais ils sont de piètres négociateurs et c’est ainsi que l’agent russe Nina Yakushova se retrouve chargée de les surveiller. Or, elle tombe rapidement amoureuse de la ville lumière et tombe ensuite dans les bras d’un bourgeois fou amoureux d’elle.
Lubitsch est ici d’une tendresse et d’une lucidité sidérante. Charmé et charmeur, son style l’emporte sur cette magnifique histoire à la fois proche et loin de nous, à l’image de Paris, un Paris sous étincelle qui prend par la main, un Paris vivant et fou, dans lequel le réalisateur admet Hollywood et capte l’essence même de la capitale . Mais « Ninotchka » est surtout d’une légèreté infinie, inoubliable, pour ne pas dire irréelle, le film transporte dans une grandeur certaine, dans un tourbillon de rire, une tempête de bonheur quasiment inexplicable, car la caméra de Lubitsch a la forme d’un sourire, simple et subtile qui dresse la bonne humeur, comme cette scène sublimissime dans un restaurant ou le rire prend place loin du bon gout, mais sous une chaise brisée à la bonne humeur contagieuse. Car finalement pourquoi rit on devant « Ninotchka » ? Tout simplement car le film met en scène des personnages qui prônent un discours qui ne leur appartient pas et qui les met dans des impasses ridicules, le comique reposant également sur le conflit des identités et une vive critique du régime communiste, celui qui met les gens en permanence sous surveillance. Mais le résultat final invoque également une vision ironique des deux mondes et du conflit. Et les personnages, incroyablement touchants, complètent la trajectoire en offrant un lot de sourires exaltés qui tutoient le sublime avec une rare allégresse. Le tout se faisant également dans l’émotion, quand Nina reçoit une lettre de son amant censurée de A à Z .
La Lubitsch Touch est donc indéfinissable, la gravité du rire, la subtile satire, la confusion des identités, les changements de ton, le tout en légèreté. Couronné par les dialogues d’une grande finesse de Billy Wilder, dernier et plus grand rôle de la douce Gerta Garbo qui rit mieux qu’un ange ne serait le faire. Que demande le peuple ?