Ow !!... encore une claque cinématographique. Après « Elle » de Verhoeven et « Sweet sixteen » de Ken Loach, « La vie passionnée de Vincent Van Gogh » est pour moi ma troisième rencontre 2017 de films bijoux. Eh oui… c’est ce que j’appelle la classe internationale !: retrouver un biopic sur un peintre à la « Gandhi », il s’agit pour moi d’un biopic réussi. Musique, esthétique, direction d’acteurs (en particulier Kirk Douglas campant un Van Gogh ultra-réaliste), mise en scène : tout concourt à la réussite de ce long-métrage. Attention, chef d’œuvre !
Avant d’aboutir sous les yeux de Minnelli qui attendait ce projet comme un rêve, les droits du roman « Lust for life » d’Irving Stone passèrent dans les mains des plus grands productions/réalisateurs du moment (Warner, MGM, Richard Brooks, Jean Renoir, de Laurentiis, la compagnie indépendante de Jack Palance). C’est fou, non ?
Maintenant, approchons nous plus près du film. Synopsis : la vie de Vincent Van Gogh, de sa Hollande natale à l’Oise, région qui le verra mourir, de ses voyages en Belgique et provençaux.
Tout d’abord, notons cette caractéristique, le long-métrage de Vincente Minnelli a été tourné en Ansco Color, marque concurrente de Kodak.
Ensuite, mon argumentaire se penche bien évidemment sur les couleurs du film, aspect primordial qu’il convient de développer.
Première particularité : les couleurs en studio. Plus sombres, elles permettent de mettre en relief et en lumière le côté fou du peintre à l’origine du fauvisme. Elles nous ancrent également dans la fin du XIXème siècle grâce à la lumière tamisée des bougies et des lampes à huile prenant ainsi toute leur importance dans des décors tous plus grandioses les uns que les autres : toutes mes félicitations à l’équipe décorative, chapeautée par les deux cadors Edwin B. Willis (« Le magicien d’Oz », « Un américain à Paris », « Chantons sous la pluie »…) et F. Keogh Gleason (habitué minnellien : « Un américain à Paris », « Les ensorcelés »), qui a su retranscrire ombres et lumières dans les rues arlésiennes de nuit ou au fin fond des mines belges. Très beau travail !
La deuxième particularité s’articule autour des toiles reprenant à merveille les chef d’œuvres du peintre agencés en un montage parfait et qui s’accorde en une ambiance esthétique jouissive. La relation entre le montage des toiles et la musique se fait de manière instinctive nous laissant le soin de regarder et d’écouter chaque coup de pinceau du maître. Un agencement certes théâtral mais qui a l’art de se présenter pudiquement et simplement à nos yeux. De plus, les peintures que le metteur en scène de « Lame de fond » nous propose, les plus connues, sont un enchantement visuel. Tout cela nous maintient (r)éveillé et en haleine. Super !
La troisième particularité, en deux points, s’observe dans l’environnement décrit par Minnelli. Premièrement, sa photographie. Sous teinte minière (noire) ou de soleil (très portée sur les couleurs abrasives de Provence), elle tend à la folie de Van Gogh, de sa vérité (ses peurs et ses démons enfantins, c’est-à-dire ses obsessions) à son coup de grâce (une mort très bien filmée par ailleurs) sans passer par le cap de l’adolescence (ses doutes et son manque de repère représenté par Gauguin en des couleurs qui ne me font ni chaud ni froid). Réalisée par les esthéticiens Russell Harlan (« La rivière rouge », « Rio bravo ») et Freddie Young (« Ivanhoé », « Lawrence d’Arabie », « Le Docteur Jivago »), la photographie est certainement l’élément qui nous permet d’apprécier les couleurs à sa juste valeur. Excellent, les artistes ! Le second point porte sur un montage alternatif jouant la carte de la narration montrant ainsi la vie anormalement paranoïaque de Van Gogh.
On ne peut évoquer « La vie passionnée de Vincent Van Gogh » sans passer à côté du casting. En tête d’affiche, Kirk Douglas, dans le rôle du peintre fou, est irremplaçable. Vincente Minnelli, avec qui il a déjà collaboré (« Les ensorcelés », « Histoires de trois amours »), le dirige de main de maître. Campant à merveille Van Gogh, Kirk est complètement habité par son personnage. Fournissant extrêmement de détails dans son interprétation, le futur Spartacus est tour-à-tour miséricordieux, dessinateur enragé, insomniaque, peintre déshumanisé, destructeur, balafré (tout comme il va l’être pour Richard Fleisher pour ses « Vikings »), la chaleur du Sud le détruisant à petit feu. Kirk Van Gogh rend sur pellicule un homme passionné quasiment inhumain rongé par la vie et ses obsessions. Tout cela donne une composition hallucinante et halluciné. Selon les propres dires de l’acteur, son interprétation est la plus difficile de sa carrière (!). Et pour moi, il s’agit d’une de ses meilleures. Logiquement récompensé par le Golden Globe du meilleur acteur dans un film dramatique. J’adore et j’adhère !!
A ses côtés, dans le duel d’acteurs, on retrouve Anthony Quinn (déjà star : « Viva Zapata ! », « Ulysse », « La strada ») dans la peau de Paul Gauguin. Perfecto ! La relation tumultueuse qu’il a avec Van Gogh est retranscrite de manière foudroyante : la classe à l’anglaise ! Résultat : Oscar du meilleur second rôle en 1956. Extra ! Le duo Kirk Douglas-Anthony Quinn ainsi formé par le réalisateur américain aborde de front la psychologie de ces deux personnages. Fabuleux !
Le seul second couteau qui parvient à sortir du lot est l’alcoolique au caractère bien trempé devenant la femme de Kirk Douglas le temps d’une amourette et d’un premier enfant. Le frère Van Gogh, Théo, le pourtant très bon James Donald (« La grande évasion ») est ici inexistant. Dommage. On se raccroche au talent démoniaque de Monsieur Douglas.
Dans « La vie passionnée de Vincent Van Gogh », il n’y a pas d’écriture filmique (absence totale de scénario). L’intrigue est uniquement basée sur le cadre environnant du personnage (la Hollande, le sud de la Belgique et le pays d’Arles). En l’occurrence, le futur metteur en scène de « Gigi » propose un biopic tourné sous la forme d’un drame lyrique car les psychoses et les peintures de Van Gogh font partie intégrante du paysage filmique. Minnelli prouve ici aussi son sens du paysagisme en dehors des studios. Son élégance coutumière (sa mise en scène), son don pictural (l’enchevêtrement de la photographie, des décors…) et le sens de la plastique de ces cadrages en un sens esthétique parfait font qu’on peut dire qu’il s’agit bien évidemment d’un film minnellien.
Quelle est la toute dernière chose à aborder pour ce long-métrage qu’on peut donc qualifier de minnellien ? La musique. Le compositeur ? Miklós Rozsa. « Assurance sur la mort », « Ivanhoé », « Fedora »… sont de lui, mais son nom restera connu pour avoir travaillé sur la bande-son de « Ben Hur ». Il n’en reste pas moins qu’il s’agisse d’un artisan de son époque. Ennuyeuse dès les premières notes mais collant ensuite de mieux en mieux au film, la musique se fait mirobolante et nerveuse lors des moments de tension extrême : la scène où Van Gogh se brûle la main avec les bougies, et celle où il se coupe l’oreille et où il fait du grabuge sont digne de rester un moment mythique du cinéma car tout cela colle à la triste tragédie du dessinateur-peintre. Une bande sonore complète et hors-norme à l’image de Kirk Douglas.
Pour conclure, « Lust for life » (1957) de son titre original est une toile de maître dans laquelle l’esthétique colle parfaitement avec l’histoire évoqué, celle d’un paumé qui fait de la peinture sa religion.
Spectateurs décolorés, partez à la recherche d’une arlésienne !
3 étoiles sur 4.