Le début de ce biopic fait craindre l'hagiographie hollywoodienne, en faisant de Van Gogh un exalté christique. Mais la suite ne confirme pas, heureusement, cette première impression. Le scénario plonge vraiment dans la vie de l'homme et dans son art, sans édulcorer son chaos, en respectant ses propos (repris des lettres adressées à son frère Theo) et son univers visuel. Minnelli signe ainsi un biopic "honnête", bien peu hollywoodien sur le fond, finalement, car hanté par l'échec, la solitude, la dépression, la folie, la mort... Et qui plus est, très nourri d'histoire de l'art. C'était un sujet rêvé pour le réalisateur, ancien dessinateur et peintre, ancien créateur de décors et de costumes pour Broadway, et qui a toujours apporté un soin particulier aux couleurs dans ses films. Il s'est livré ici à un vrai travail d'esthète, dans un style hollywoodien classique flamboyant, certes, mais très inspiré, très fidèle au regard du peintre sur le monde et à l'évolution de ce regard au fil des années. En plus d'exploiter sa science des décors et des costumes, science de l'artifice qui l'aurait même poussé, selon la légende, à peindre parfois les feuilles des arbres, il a utilisé une pellicule spéciale, à laquelle il a fait subir un traitement chromatique non moins spécial, pour que le film épouse au plus juste les toiles de Van Gogh et sa palette de couleurs. Une hyperstylisation (à mille lieues de l'épure que proposera Pialat dans son Van Gogh) qui déréalise la réalité mais qui noue un étonnant lien artistique et empathique avec le peintre, au gré d'un va-et-vient fluide entre le monde extérieur, les "visions" de Van Gogh telles qu'imaginées par Minnelli et les toiles proprement dites, qui nous sont montrées régulièrement sur fond noir, en ponctuation du récit.
La qualité du film doit aussi évidemment beaucoup à l'interprétation de Kirk Douglas. On a d'abord un peu peur qu'il en fasse trop, et puis finalement on y croit à son personnage, idéaliste, impulsif, obstiné, un personnage à "l'âme inquiète", un "homme en lutte contre lui-même" qui s'exprime picturalement dans un style "contraint et heurté" et humainement dans un chaos d'actions emportées, mutilantes (l'oreille coupée) et suicidaires. Kirk Douglas y a mis toute sa fougue et son intensité. On y croit d'autant plus que la ressemblance physique a été bien travaillée (même si Douglas demeure plus costaud que son modèle).
Au final, ce film porte bien son titre, anglais comme français, puisque l'on navigue entre enthousiasme fiévreux et souffrance. Avec beauté et force. Il bénéficie aussi de textes très écrits, trop probablement, mais justes et intelligents. C'est l'une des oeuvres préférées de Minnelli au sein de sa filmo.
Musique : Miklós Rózsa, dont la composition sombre malheureusement un peu dans le potage lyrique...