Les Carabiniers , film réalisé par le formidable réalisateur de la Nouvelle Vague qu'est Jean-Luc Godard en 1963 est une fois de plus un chef-d'oeuvre . Tout d'abord , la force du film vient de sa formidable dénonciation de la guerre en montrant les horreurs que celle-ci engendre . En effet , le film montre parfaitement pour commencer la déshumanisation des civils à travers le personnage de cette femme , une mère pauvre traitée par Michel-Ange comme un animal ( il s'assied sur elle comme si c'était un cheval ) , on peut voir de très nombreuses scènes de fusillade dans le film . Et ce n'est pas uniquement l'horreur mais aussi l'absurdité de la guerre que Godard met en relief dans Les Carabiniers notamment la scène au début du film de présentation de la guerre par les carabiniers qui lui donnent une vision belle , utopique , idéaliste , le monde des rêves où les deux protagonistes pourront s'enrichir , trouver de belles femmes , voir des "paysages extraordinaires" , rouler dans des "maseratis" ou des "alfas Roméo" . Outre cette dénonciation , le film est bourré de références historiques et antiques : en effet , cela est visible dès le titre , les carabiniers faisant référence aux soldats à carabine présents lors des guerres du début du dix-neuvième siècle notamment . Mais ces références , ces clins-d'oeil se retrouve dans les prénoms des quatre personnages principaux qui trouvent leur inspiration dans l'Antiquité ( Cléopâtre , Ulysse , Vénus et Michel-Ange ) . Cette Guerre pourrait être une référence à la Guerre de Troie ( dans le sens où le marié Ulysse y va combattre ) mais aussi à la Première Guerre mondiale (
dans le film , on peut en effet voir un plan sur un homme portant un masque à gaz et de plus dans le film de Jean-Luc Godard , il est écrit "On exécute les gens en série en leur tirant une balle dans la tête .Quand le trou est rempli de cadavres , on le bouche avec de la terre" qui n'est pas sans rappeler certains passages du chef-d'oeuvre littéraire de Erich Maria Remarque , A l'Ouest rien de nouveau
) . Jean-Luc Godard , comme souvent y met une patte révolutionnaire puisqu'il se permet ces anachronismes sans gêne :
à un moment vers la fin , on peut en effet entendre Ulysse raconter qu'il a vu des iguanodons ! Il laisse sans doute volontairement un incroyable faux-raccord
! Le cinéaste franco-suisse parodie de plus magistralement ses personnages puisque ceux-ci , utopistes et ayant cru aux mensonges racontés par le carabinier croient en la guerre : et là , les deux personnages père et fils se permettent tout :
on pense notamment à la scène où ils sont interpellés par deux hommes en voiture après s'être appropriés des immeubles et avoir tué une vieille femme ,qui leur demandent ce qu'ils font et que Michel-Ange répond tout bêtement et tout simplement : " on réquisitionne des immeubles et on tue les concierges" et que le père ajoute , aussi naturellement : "on nous a dit qu'on avait le droit"
. Cette guerre est aussi l'occasion pour le plus jeune des deux hommes de faire ses premières grandes expériences pour le passage décisif à l'âge adulte (
il va au cinéma où sa réaction est totalement étonnante , drôle mais peut-être compréhensible au fond étant pour lui une première ; il a ses pulsions , des attirances pour les femmes _il devient homme
) . La critique de la guerre de Jean-Luc Godard se prolonge aussi
par le fait que le réalisateur fasse mourir les deux hommes à la fin , on voit ici toute la critique de la propagande
. Et une citation résume parfaitement le long-métrage de Jean-Luc Godard : " il n'y a que des hommes qui tombent " . Et finalement , on se dit qu'Ulysse ( qui n'a finalement plus grand chose en commun avec le héros épique dépeint par Homère ) aurait dû rester sur ce qu'il pensait de la guerre à 9 minutes 22 du film : " la guerre c'est pas drôle " .