Très frustré de ne pas avoir réussi à trouver l'alchimie pour m'imprégner de cette rêverie très difficile d'accès, dont je n'ai pas su briser l'austérité de surface. Les sentiments, ici, ne sont jamais livrés dans une version facilement assimilable mais tordus par le prisme conjugué d'une narration épurée à l'extrême et d'un esthétisme qui tend vers une abstraction insaisissable. Millenium Mambo, malgré tout, peut en effet fasciner : sa modernité assumée est tellement en rupture avec le passé qu'elle parait égarée dans un futur qui n'existe pas. Le film parle ainsi de l'entrée dans un nouveau millénaire par une jeune fille dont il se veut le journal intime extrêmement compendieux, et même vide de toute chose si ce n'est l'essentiel : l'envie de vivre et la présence fantomatique du temps. Là où le film m'a malgré tout perdu, c'est dans une donnée simple : il cultive à la fois une séduction de chaque instant, presque charnelle, par le biais de son interprète, mais également le mouvement antagoniste qui voit les corps prendre quasiment le pas sur leurs habitants dans un glacis formel feutré qui donne l'impression d'une image tremblante sur le point de s'éteindre. A l'avenant de ces visuels abstraits, les personnages se perdent, en dehors de leurs accès nerveux, dans une retenue exagérée, comme lors de ces étreintes où Hao Hao fait mine d'embrasser une Vicky réticente en ritualisant ses avances à l'extrême mais sans chercher à les pousser jusqu'à finir par faire l'amour. Comme si tout était pris dans un entre-deux suspendu entre la forme et ce qu'elle représente, Millenium Mambo parait ne pas réussir à s'animer totalement. C'est ce qui le rend si indéchiffrable et par moments pourtant magnifique, car bien que j'aurais aimé voir le désir latent cultivé autour de la sublime Shu Qi s'incarner complètement, ce que Hou Hsiao-Hsien recherche est ailleurs. A travers cette image constamment sur un fil au-dessus de l'abstraction inerte et ce récit qui se vide à mesure qu'il avance, Millennium Mambo ressemble à une vie évanescente mais sait tirer de cette grâce un pouvoir incroyablement apaisant. C'est peut-être que, à contempler de façon lointaine cette belle femme et son histoire éternelle (des amours contrariés, qui n'en a pas vécu ?), on parvient à en anesthésier les douleurs et à en conserver la pureté. Comme une dernière image, presque apocalyptique (comme le disait un avisé membre de Sens Critique dont j'ai oublié le pseudo), d'une victoire ultime de la beauté juste avant que tout ne s'éteigne.