Les premières et les ultimes images de « La Dernière Séance » ont ceci en commun : une petite ville du Texas aux habitations chiches, capturée en plan d’ensemble, est balayée par le vent, comme dans un western suranné de John Wayne. Ce film sonne à peu près comme l’ultime soupir du vieil Hollywood, avec donc le choix esthétique d’un superbe noir et blanc pour mieux coller à l’époque à laquelle il s’intéresse, les années 1950 pourtant depuis longtemps révolues (on est en 1972). Entretemps, le Code Hays a été abrogé et les cinéastes peuvent montrer sans pudeur des adolescents dénudés se tripotant à l’arrière d’une voiture ou dans des motels miteux. Un anachronisme judicieux, car Bogdanovich emprunte les codes cinématographiques contemporains de l’histoire mais avec la liberté possibles des 70’s. Il n’hésite donc pas à filmer des romances intergénérationnelles, ni à faire d’un fils de pasteur un pédophile en puissance. C’est aussi tout cela que Peter Bogdanovich s’échine à mettre en images, dans une Amérique profonde désenchantée, se vidant d’une jeunesse qui préfère fuir vers le Mexique, fût-ce de manière fugace, ou s’engager dans l’armée pour aller combattre en Corée. Mais dans le film le plus pessimiste du Nouvel Hollywood, ces deux échappatoires s’avèrent elles-mêmes éminemment décevantes : du Mexique, on ne rapporte que deux sombreros et une gueule de bois ; à l’armée, on continue à être hanté par un amour depuis longtemps déchu. Le lieu de l’histoire, la ville d’Anarene est d’un ennui profond. Finalement, le moyen le plus commode de se soustraire à la réalité demeure le vieux cinéma du quartier, où les jeunes adultes peuvent se peloter de manière insouciante au dernier rang, les yeux fixés sur une vedette hollywoodienne. Outre son cinéma désuet, bientôt dépeuplé en raison de la concurrence de la télévision, on y trouve un petit bistrot avec billard et un restaurant sans éclat, où une serveuse endettée et désillusionnée assure à un jeune client : « Je ferai encore des cheeseburgers pour tes petits-enfants. ». Trois lieux et trois tenanciers mentors des adolescents locaux ayant eux-mêmes surmontée leurs espoirs déçus et étant maintenant aux premières loges pour observer, anticiper et apaiser les soubresauts de la communauté. Tous les événements portraiturés par Peter Bogdanovich sont exposés à la même aigreur : les mutations paraissent douloureuses, notamment celles menant à la vie d’adulte ; les jeunes perdent leur pucelage à la sauvette, à l’arrière d’une voiture, devant les regards indiscrets et moqueurs de leurs amis, avec une fille aux mœurs légères, jugée moins avenante qu’une « génisse » ; l’adultère frappe certains mariages plombés par la lassitude et dépourvus d’amour ; les quadras et quinquas insatisfaites se laissent aller à des ébats avec des adolescents du voisinage… Adolescents et adultes ne semblent avoir que peu de plaisir y compris dans leurs relations sexuelles destinées simplement à se prouver que l’on existe. Toute la ville semble crier « No future ». « La ville est bien trop petite pour quoi que ce soit », fera même dire Bogdanovich à l’un de ses personnages, cristallisant en une réplique l’idée d’une géographie du désespoir. Heureusement que dans cet océan de morosité, Timoty Bottoms, Jeff Bridge et Cybill Sheperd insufflent une énergie et une candeur juvénile ; et cette dernière compose un personnage de jeune femme difficile à oublier. Un film peu connu figurant dans le top 100 des plus grands films américains par l’American Film Institute. Donc à voir impérativement.
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