Chronique désenchantée d’une bourgade perdue au fin fond du Texas, le deuxième film de Peter Bogdanovich est aussi réussi que le premier (La Cible) était raté. On entend tout d’abord le vent qui hurle, on ressent l’ennui qui pèse et l’hypocrisie qui règne. On a ensuite une satire féroce de la société américaine des années cinquante avec son cortège de clichés (la salle de billard, l’équipe de football, la guerre de Corée, l’idiot du village…) Mais il s’agit enfin et surtout d’une superbe réflexion sur la fin de l’adolescence, une de plus certes, mais peut-être la meilleure que le cinéma nous ait jamais donnée. Le scénario, très habilement construit, pose de façon pertinente des problèmes éternels et les acteurs, servis par une mise en scène discrète mais efficace, sont magnifiques : Jeff Bridges débutant, Timothy Bottoms que l’on n’a pas revu à ma connaissance à ce niveau par la suite, Ellen Burstyn, superbe en quadragénaire désabusée et Ben Johnson, le vieux complice de John Ford (Wagon Master, She Wore a Yellow Ribbon), en « Sam le Lion », ressortent d’un lot très homogène. La nostalgie est au rendez-vous à travers une foule de clins d’œil et de références, dont l’ultime, l’hommage à Howard Hawks (Red River) au cours de la « dernière séance »… si proche de celle qu’a chantée Eddy Mitchell quelques années après la sortie du film. À signaler à ce propos que l’original d’un de ses morceaux récents (Jambalaya) figure dans la bande son. En conclusion, la recette est vieille mais on se laisse prendre, de façon presque magique… Et pour ne rien gâcher, la fin est superbe, qui clôt le film en ouvrant sur un avenir forcément incertain, déchirant d’humanité… Un chef-d’œuvre !