Après le tournage du Golem (1936), le réalisateur Julien Duvivier se consacre à une production restée dans les mémoires comme étant le reflet, qu’elle offre bien malgré elle, à la fièvre populaire dans un contexte politique français historique : la victoire du Front Populaire et le rassemblement des forces de gauche sous la houlette de Léon Blum, aux élections législatives de mai 1936.
Réalisé lors de l’été suivant, La Belle Equipe coïncide avec cet évènement historique majeur. Néanmoins, malgré sa réputation politisée au service du Front Populaire, Julien Duvivier n’a jamais voulu faire de son œuvre le porte-voix des projets politiques et sociaux d’une gauche éclectique et triomphante. Pourtant, l’Histoire en a décidé autrement, sans doute en raison de son esprit enthousiaste et plein d’espérance qui s’inscrit dans son temps.
Cinq ouvriers au chômage et dans la misère remportent le gros lot à la loterie et décident d’acheter une bâtisse délabrée sur les bords de la Marne, dans l’objectif de la transformer en une guinguette populaire, festive et fructueuse. Toutefois, malgré le flux joyeux du gain à la loterie et de l’espoir d’une vie paisible qui en découle, le reflux s’avère destructeur pour cette bande d’amis soudée, l’argent et les femmes devenant les causes de leur perte. Prônant les valeurs d’amitié, de fraternité et de solidarité, La Belle Equipe est probablement la production cinématographique la plus injustement assimilée à la ferveur qui a découlé de la consécration politique du Front Populaire. Il faut dire que Duvivier n’a jamais été très intéressé par la politique et a encore moins été séduit par l’idéal collectiviste défendu par la gauche. Pessimiste et méfiant par nature, le concept du groupe fraternel uni et indivisible a toujours suscité ses doutes, comme on le voit dans l’éclatement progressif de cette bande d’amis.
La Belle Equipe est aussi l’une des représentations les plus fidèles du réalisme poétique, courant cinématographique en vogue au cours des années 1930, porte-voix du Front Populaire sur les écrans et porté par de célèbres réalisateurs français (Marcel Carné et Jean Renoir entre autres). Peut-être est-ce aussi là, la source de cet amalgame enraciné quant aux motivations du réalisateur. Le cadre naturel et bucolique du lieu de tournage, dans le Val-de-Marne, fait écho aux racines naturalistes du mouvement, quand l’environnement populaire des personnages et leur confrontation à la fatalité sont des thèmes emblématiques du réalisme poétique.
En effet, après une première partie pleine d’enthousiasme, le destin tragique rattrape inévitablement cette belle équipe et la disloque, rappelant ainsi le fragile équilibre de la vie, que même la richesse ne peut préserver. Finalement, ce gain à la loterie s’avère être un cadeau empoisonné et cette bande de joyeux lurons n’a jamais été aussi forte et soudée que lorsqu’elle était plongée dans la précarité. Ajoutez aux ravages de l’argent la cupidité et le cynisme d’une femme malveillante, et vous obtiendrez un cocktail explosif capable de détruite n’importe quelle amitié. Il faut dire que chez Duvivier, les femmes apportent le malheur, que ce soit volontairement, comme avec Gina, ou de manière involontaire, comme le prouve Huguette, qui pousse sans le vouloir son fiancé Mario à quitter ses amis et changer de pays. Et c’est justement la principale faiblesse de La Belle Equipe : son pessimisme exagéré, dont l’apothéose s’exprime dans un final tragique.
Figure du héros prolétaire et tragique empreint de romantisme et de noblesse, Jean Gabin signe sa troisième collaboration avec Duvivier après Maria Chapdelaine (1934) et La Bandera (1935), ce dernier film étant celui qui lui offre son premier grand succès et qui participe grandement à fonder le mythe autour de sa personne. Son charisme et sa stature ne laissent guère de place à ses camarades de jeu, seul Charles Vanel parvenant à lui tenir tête en de rares occasions. Le film est aussi un tremplin pour Viviane Romance dans son rôle misogyne de femme vénale et venimeuse.
La première projection du film reçoit un accueil très mitigé, les spectateurs ne goûtant guère la noirceur de la fin imaginée par Duvivier. Les producteurs demandent donc à ce dernier de substituer à cette fin malheureuse un épilogue plus optimiste, afin de correspondre aux débuts prometteurs du Front Populaire. Le cinéaste refuse d’abord avant de finalement accepter de soumettre deux versions à un panel de spectateurs et de choisir la fin qui sera plébiscitée. Le verdict est sans appel : le public veut la fin heureuse (305 voix sur 366 spectateurs). Duvivier se plie à la vox populi mais regrettera toujours cette fin candide qui dénature le propos qu’il a voulu donner au film. En fait, aucune des deux fins n’est réellement convaincante : le happy-end apparait totalement fantaisiste tandis que la conclusion tragique manque de crédibilité.
Inscrit à tort dans la ferveur populaire résultant du triomphe du Front Populaire, La Belle Equipe souffre pourtant de son esprit utopique et irréaliste à travers un entrain manifeste et exagéré. Duvivier ne souhaitait pas faire un film joyeux et optimiste, c’est pourtant raté, et la fin tragique qu’il a tourné en premier lieu ne parvient même pas à servir son propos tant elle semble venue de nulle part, après un retournement de situation incompréhensible. Le résultat offre un faux film de propagande à la gloire de la victoire du rassemblement des gauches et échoue dans son projet de dénoncer la fragilité de la collectivité et de la vie. Ironiquement, on pourrait penser que Duvivier en a fait l’éloge.