Lorsque la caméra de Jack Clayton capte le journaliste Nick Carraway après la mort du protagoniste principal, c’est esseulé qu’il apparaît, figé dans une pièce centrale aux tonalités blanches et grisâtres : lui est en noir, immobile parmi les colonnes de marbre, regarde par la fenêtre aux nombreuses découpures un paysage qu’il comprend enfin, ce phare au loin et la lumière verte dont il colore, le soir venu, l’horizon. La voix off redouble efficacement l’amer constat : une vie devant soi pourtant gâchée par le passé, par cette ombre au tableau qui raccorde le journaliste à son milieu d’origine, modeste, tout comme Gatsby d’ailleurs. Le réalisateur a parfaitement compris la relation d’interdépendance qui unit ces deux personnages : l’un apparaît comme le regard critique de l’autre, disposant du recul nécessaire et surtout de la capacité à juger ce qu’il perçoit depuis un point de vue presque omniscient, le point de vue de l’écrivain, celui de l’auteur de fiction, à la fois engagé dans l’action et suffisamment en retrait pour la raconter. La mise en scène de Clayton réussit à mêler l’effervescence d’une époque avec le classicisme aristocratique de la caste investie, si bien qu’il donne vie à une œuvre magistralement composée et équilibrée dont le scénario, signé Francis Ford Coppola, respecte point par point le roman original de Fitzgerald. Au plus près du clinquant, la caméra s’avance, colle à la peau, saisit la sueur qui perle au front des protagonistes ; la lumière accentue jusqu’à leur paroxysme les contrastes entre clarté et obscurité, de sorte à produire une image aux allures suspectes, à la fausseté révélatrices de la calcification à l’œuvre dans ce microcosme anxiogène et détestable. Ce faisant, Clayton adapte véritablement la révolte inhérente au roman en la pensant par le prisme de l’esthétique : comme dans l’adaptation qu’en fera Baz Luhrmann, l’individualisme se pare de mille et une couleurs, saute, vibre au son du jazz, glisse d’un espace (confiné) à un autre espace (confiné lui aussi). Rien ne tient en place, et pourtant les échanges romantiques entre les amants sont interminables, la preuve avant l’heure que l’échange est biaisé d’avance. Et le beau Robert, perdu parmi ses rêves ternis et les reflets de ceux-ci dans le miroir de l’océan, adopte l’attitude d’un jeune premier que rien, en apparence, ne touche ; ce jeu ténébreux parvient à divulguer l’incertitude d’un cœur qui ne bat pas à l’unisson du milieu qu’il visite, à l’instar de ce regard lancé derrière lui avant que lui et son matelas pneumatique ne gagnent le fond de la piscine. Un coup d’œil sur ses arrières, comme confrontation inévitable avec ce que l’on est, avec son moi profond et immuable, et qu’un père endeuillé explicitera sur sa tombe. S’il souffre du manque d’alchimie entre les membres de son duo romantique central, s’il rend Daisy Buchanan plus insupportable que fragile et impitoyable, Gatsby le magnifique cuvée 1974 s’affirme telle une adaptation magnifique de Fitzgerald qu’il convient de reconsidérer aujourd’hui.