Des romans ont, sans forcément le vouloir, un pouvoir qui les dépasse. Comment expliquer que telle oeuvre fait l'objet de nombreuses adaptations cinématographiques, tandis que d'autres restent au statut de « simples » livres ? Parce que des cinéastes ont su trouver en elles un potentiel graphique, une façon de transcender une histoire afin d'y mettre leurs propres thématiques. Avec cinq transpositions à son actif, l'ouvrage de Francis Scott Fitzgerald Gatsby le Magnifique fait partie de ces dernières.
On connaît le refrain, Jay Gatsby est un grand milliardaire aussi secret qu'atypique. Nick Carraway, son voisin, aura l'honneur de le connaître sous le cercle intime, et de découvrir son vrai visage. En regardant ce film trente-neuf ans après sa sortie, nous sommes obligés de reconnaître qu'il a pris un petit coup de vieux. Pour certains longs-métrages, ces légers rides leurs donnent un ton charmant et nostalgique. Mais pour Gatsby, ces mêmes rides prouvent seulement que le temps est passé sur lui. Si nous ne reprochons pas à la mise en scène son côté très classique, on regrettera cependant un montage abusant de fondus enchainés à maintes reprises, qui rendent le tout indigeste. Autre problème : l'interprétation de Mia Farrow pour le personnage de Daisy, le grand amour de Gatsby. Celle-ci en fait des caisses et en devient ridicule. Mais une fois de plus, nous ne savons pas si son jeu est la volonté du réalisateur, ou l'incapacité de l'actrice à jouer ce personnage complexe et torturé.
L'époque mise à part, des thèmes bien spécifiques retiennent notre attention. La surmultiplication de miroirs accentuent le paraître de tous ces personnages vides de sens et d'humanité. Il est inutile de préciser que l'argent représente le leitmotiv du film, ou tout le reste n'est que futilité. Mais si les sujets principaux traités par Fitzgerald sont présents, le film ne se révèle pas d'une grande profondeur. Certaines scènes qui auraient pu être décisives (dialogues entre Jay et Nick sur le balcon) sont coupées bien trop tôt pour laisser place à des scènes de fêtes dansantes peu dynamiques. Pourtant, on peut féliciter Coppola (scénariste) d'avoir respecté le roman à la ligne prêt puisque de nombreux dialogues sont repris du livre. Malheureusement, cela ne suffit pas pour faire de Gatsby un grand film. Nominé aux Oscars, celui-ci ne remportera que celui de la musique et des costumes (merci Ralph Lauren).
Nous devons avouer qu'il est toujours difficile d'émettre un jugement sur une oeuvre vieille de dizaines d'années. Malgré tous les efforts possibles, adhérer à cet univers froid et sans vie (alors qu'il devrait être tout l'inverse) est difficile malgré un charme que l'on ne peut enlever à Robert Redford. Une dernière question porte enfin sur lui : pourquoi diable voue-t-il un culte à Daisy, alors que cette dernière est odieuse à souhait. Difficile alors de rentrer en empathie...