Bien plus féroce que Traitement de choc ce Paradis pour tous fait fi de toute nuance pour dépeindre un cauchemar social qui ne fait qu’extrapoler une dérive consumériste et une injonction au bonheur bien contemporaines. Les patients dépressifs d’un chirurgien-apprenti-sorcier subissent un "flashage" qui les désinhibe entièrement, effaçant du même coup angoisse et compassion. Les êtres humains deviennent des robots incapables de souffrance et d'entendre celle des autres. Ce dérèglement social condamne l'humanisme, décidément espèce en voie de disparition dans l'univers post-moderne. A travers le portrait d’un homme ainsi guéri de ses pulsions destructrices, Alain Jessua tance et admoneste une société lucrative, capitaliste et hédoniste qui façonne un individu moderne, mécanisé et émotionnellement régulé pour ne plus être sermonné par ses sentiments. Pour une fois, Dewaere incarne donc un type heureux de vivre ! Mais cette béatitude a un prix. A travers le parcours et les pérégrinations d'Alain Durieux, Alain Jessua narre un processus de déshumanisation et de dépersonnalisation qui guette tous ces individus égotistes formatés par la société consumériste, bref, nous tous. Révélateur de son époque, le film évoque la peur de la mécanisation de la société, la perte des repères dans le travail comme dans les rapports sociaux. Les plaisirs sont identiques, ordonnés, bien rangés, lisses, sans débordements, en un mot : inoffensifs pour le groupe. Le standard fait loi pour tous, l'individu flashé est mouton de panurge, consentant, promulguant la tonte avec allégresse (la séquence mémorable où les flashés s’extasient devant les pubs), il l'anticipe même, désincarné, comme “eugénisé� du cervelet. Le simplisme des flashés abrutis par l'absence de réflexion montre bien que l'intelligence est une conception très complexe dans laquelle la peur de mourir et la violence ont leurs parts essentielles. C'est là peut-être la démonstration la plus éclatante du film.
Mais paradoxalement, il affiche aussi sa nature à la fois farceuse et un brin hédoniste avec une insistance qui finit par lasser. Alain Jessua reste sur le même mode tout au long de son récit, flirtant avec la complaisance et le cynisme. Certes, le propos frappe juste et le traitement est cohérent (la mise en scène est aseptisée comme une pub des années 80), mais le récit ne propose aucun contre-point ni dramatisation, restant bloqué sur son geste parodique. Cela peut finir par lasser. Au final, si le film s’avère être une charge un peu trop appuyée sur la réification des rapports humains, il demeure actuel dans son propos et glaçant par certains de ses aspects (le jeu « blanc » de Patrick Dewaere est saisissant).