Qu’est-ce qu’un ordinateur s’il n’y a personne derrière le clavier ? Qu’est-ce qu’une société ou un individu sans humanité ? sont des questions similaires que pose cet effroyable bijou fantastico-philosophique d’Alain Jessua en 1982, pollué malheureusement par une affiche grivoise hors de propos, et incarné par les excellents Patrick Dewaere, dont c’est le dernier rôle, Jacques Dutronc, Fanny Cottençon, Stéphane Audran et Philippe Léotard.
Fable glaçante et visionnaire d’il y a 35 ans, le film invente la conception d’un bonheur artificiel atteint par auto-sabordage de notre humanité, tellement attirant quand on exige de s’exonérer de sa souffrance et de sa médiocrité, et si séducteur pour pallier le vide quotidien de nos amours et de nos rêves. Ainsi, un savant invente le remède à la souffrance grâce à une machine qui annihile toute une portion hypothalamique, construction phylogénétique première du cerveau. Symbolisant ici la disparition de notre fondamental, nos sentiments intimes et notre bon sens, la place vacante est désormais occupée par les mécanismes et les artifices, désormais souverains et sans âme.
Précurseur d’une société moderne gouvernée par les amputés de la conscience, Jessua nous présente de sympathiques individus qui envahissent et constituent bientôt un monde programmé pour avaler n’importe quoi avec bienvenue, fonctionner dans l’efficacité comptable et s’endormir dans une satisfaction tellement béate qu’elle finit par légitimer les monstruosités et folies, normalisées et triomphantes. Lobotomie, formatage, infantilisation, transformation du monde en secte heureuse de l’être, mort de la spiritualité, de la personnalité, du sens critique, et des insatisfactions inductrices d’évolution et de joie, ce terrible pamphlet poétique et surréaliste dénonce l’arnaque personnelle autant que le pseudo-bonheur vendu par une société dystopique, travestis en épicurisme naïf, et révélant bientôt un effrayant despotisme déshumanisé peuplé de calculateurs, de voleurs et de cocus bienheureux.