Rendez-vous avec Pol Pot est une fiction, inspirée du livre de la journaliste et correspondante de guerre américaine Elizabeth Becker, When The War Was Over : Cambodia and the Khmer Rouge Revolution. Elle tente d’expliquer pourquoi les Khmers rouges imposèrent à leur pays un régime aussi destructeur. Rithy Panh se rappelle comment il a découvert cet ouvrage : "J’ai contacté Elizabeth Becker lorsque je réalisais mon film Bophana, une tragédie cambodgienne (1996)."
"Bophana est une jeune femme qui, lors de la dictature des Khmers rouges, fut emprisonnée, torturée et exécutée au centre d’extermination S-21, pour avoir envoyé des lettres d’amour à son mari. Elizabeth est la première journaliste à avoir enquêté sur Bophana et je me suis basé sur ses écrits pour réaliser mon film. Trente ans plus tard, elle a eu la gentillesse d’accepter de céder les droits de son livre When the War Was Over qui a inspiré le scénario de Rendez-vous avec Pol Pot."
"Elizabeth Becker est une des rares femmes journalistes à avoir couvert la guerre au Viêt-Nam et au Cambodge au début des années 1970, elle a ensuite continué à suivre les Khmers rouges qui intervenaient à l’ONU à New York alors qu’aucune information ne filtrait sur ce qui se passait dans le pays. C’est peut-être sa ténacité qui fait qu’elle est invitée fin 1978 à visiter le Kampuchéa démocratique."
Pour les besoins du film, les trois personnages principaux sont français. Elizabeth Becker devient Lise Delbo, interprétée par Irène Jacob, et l’universitaire marxiste écossais Malcolm Caldwell devient Alain Cariou (Grégoire Colin) : "Lise Delbo, c’est un hommage à Charlotte Delbo. J’aurais aimé la rencontrer car ses livres m’ont beaucoup aidé à vivre. Theodor W. Adorno a déclaré : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare ». Charlotte Delbo pensait qu’au contraire, il fallait continuer à écrire et à créer. Elle avait tellement raison !"
"Après Auschwitz, il fallait plus de poésie. Il fallait écrire. Lise Delbo c’est aussi ce personnage qui a habité et travaillé au Cambodge, qui incarne ce vécu, ces émotions, qui cherche à analyser une situation, qui ne cesse d’interpeller les dirigeants khmers rouges pour retourner au Cambodge, et retrouver son interprète dont elle n’a plus de nouvelles. Ce qui la frappe pendant son séjour, c’est le silence. Où sont passés les gens ? Le génocide, c’est aussi le silence. On ne voit rien, on n’entend rien", confie le cinéaste Rithy Panh. Il ajoute :
"Les grandes terreurs correspondent souvent à un terrible silence et la ville de Phnom Penh, vidée de ses habitants et totalement silencieuse, témoigne d’un anéantissement absolu. Plus d’écoles, plus de marchés, plus de spectacles, plus de musiques, plus de danses… Alain Cariou pour sa part, c’est l’idéologue, le professeur soixante-huitard maoïste convaincu. Tandis que Lise Delbo essaie d’effectuer son travail de journaliste, Alain Cariou est le dernier à prendre la mesure de la situation parce qu’il réagit avant tout à la théorie et aux idées."
Ce film est présenté à Cannes Première au Festival Cannes 2024.
Rithy Panh a opté pour une mise en scène mêlant prises de vue réelles en couleurs, archives en noir et blanc, mais aussi transparences et surimpressions : "C’est une forme d’écriture que j’affectionne depuis un certain temps. Je m’autorise à être l’élève de Dziga Vertov ou de Chris Marker, ça permet de réfléchir à un cinéma plus organique. J’utilise souvent les mêmes archives. J’en ai d’autres bien sûr, mais certaines ont ma préférence."
"Cette forme de persistance des archives traduit les idées sur lesquelles je reviens et je travaille. Les scènes du film correspondent en partie au livre d’Elizabeth Becker : comment elle préparait les interviews, comment les Khmers rouges l’empêchaient de rencontrer certaines personnes et comment ils rapportaient ensuite à leur chef. Ça, c’est Pierre Erwan Guillaume, le scénariste du film, qui l’a adapté du livre", précise-t-il, en poursuivant :
"Le reste se rapporte à tout ce que j’ai pu accumuler sur le régime khmer rouge. Par exemple, la scène où il est question de dynamiter l’ensemble bouddhique du Wat Phnom qui est le symbole de la fondation de Phnom Penh, et de le remplacer par la statue de Pol Pot guidant la foule des soldats, paysans et ouvriers est une anecdote que le peintre Vann Nath m’a racontée parce qu’il a travaillé sur la maquette du monument quand il était prisonnier à S-21."