Bon film de Jean-Luc Godard, qui essaye de capter, en sons et en images, l'époque, l'esprit du temps, et tout cela à l'aune d'une révolte collective (1968) contre le fascisme et les normes déclinantes (d'où la célébrissime chanson des Stones, envoûtante, hypnotique, dans laquelle Mick Jagger s'identifie au diable, qui tente au sens strict l'auditeur). La construction du film, sa "forme", n'est pas inintéressante, Godard choisissant de construire son "reportage" sur les Rolling Stones en filmant l'enregistrement, répété, évolutif, de la chanson éponyme (Sympathy for the devil, pour ceux qui n'ont pas suivi). C'est plutôt très bien joué : on saisit un peu du caractère des quatre loustics (principaux), de l'autorité de Jagger et de Richards (surtout de Jagger, en fait) sur les autres, de la passivité (et de l'approximation musicale : il faudra un jour parler de cette grande arnaque musicale) de l'étonnant Charlie Watts à la batterie et, dans une moindre mesure, de la chute de Brian Jones. La chanson est filmée successivement à ses balbutiements (accords folks voix), puis avec plusieurs accompagnements différents, essayés, abandonnés, avant que le choix définitif ne se porte sur un accompagnement surprenant rock-samba. Rien à reprocher en tous les cas à Godard : une bonne idée, c'est-à-dire s'effacer complètement pour laisser tout ce bouillonnement s'émanciper seul à la caméra.
Parallèlement, Godard interrompt les multiples "phases" d'élaboration de la chanson phare des Stones par le truchement de quatre séries de "digressions" : d'abord avec des séquences de pseudo-reconstitution sur le mouvement des Black Panthers entre gueulements de textes engagés et massacre de jeunes blanches innocentes... Seconde digression ressassante, la lecture d'un roman étrange, mettant en scène les personnalités politiques de l'époque et les tournant en ridicule... Troisième digression : une séquence dans un vidéclub porno avec lecture en direct de passages de Mein Kampf, avec saluts nazis (en cadeau provoc') effectués par les clients. Enfin dernière digression : mise en abyme d'une équipe de tournage qui filme Eve, censée représenter une sorte de muse artiste/politique. Sous forme d'interview (permettant au passage à Godard de se foutre cordialement du milieu journalistique), Eve ne répond que par "oui" ou "non" à des questions de café-philo du type "Pensez-vous que la révolution nécessite un engagement absolu des artistes ? " ou d'autres sucreries du genre... Pas mal d'ironie dans tout ça, bien vue et bien placée, si - espérons-le tout de même - il s'agit bien d'ironie...
Malgré l'anarchie dans la forme et la volonté évidente de Godard pour perdre et déstabiliser son spectateur au niveau du fond, ce Sympathy for the devil laisse une bonne impression, et quelque chose passe, quand même, à travers les multiples discontinuités du film, quant à l'intention de l'auteur qu'on pourrait synthétiser sous ce leitmotiv emprunté au film lui-même : "Under the stones, the beach"... A la frontière de la provocation, de l'essai caricatural, de l'absurde parfois ou encore du porte-voix pour la conception d'un art révolutionnaire, Sympathy for the devil demeure une oeuvre ouverte, simpliste parfois, mais certainement pas dénuée d'intérêt. Zou, 14/20.
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