Le documentaire est fait de deux matériaux : les images filmées (ou photographiées en couleur) par Claude Baechtold, et les photos noir et blanc de Paolo Woods. Le troisième larron, le journaliste suisse Serge Michel dirige plus ou moins l’expédition, c’est lui qui produit les articles publiés tous les jeudis dans le journal français. « Riverboom » est donc un documentaire de 1h40 environ qui prends immédiatement et jusqu’à la dernière image, le pari de la forme ludique, presque cartoonesque. Son montage, son ironie, son humour décalé et son ton iconoclaste ne sont pas sans faire penser au cinéma de Jean-Pierre Jeunet. Les images sont filmées à l’arrache, le montage est hyper speed. Le film alterne les photos et les passages filmés, entrecoupés de reconstitutions ludiques, d’animations le tout avec la voix off permanente de Claude Baechtold. On dirait un film de Michael Moore par moment ! Si le fond du sujet est évidemment sérieux, et même grave, le ton est toujours drôle, plein d’humour potache, d’autodérision et n’est pas dénué même, d’une certaine poésie. Pourquoi proposer ce film aujourd’hui, en 2024 ?
Cela n’a rien à voir avec la géopolitique, le fin du film l’explique : Claude Baechtold avait confié ses images à un ami pour les numériser, un ami qui les a immédiatement perdues et retrouvées au bout de 20 ans dans une vieille boite. Un tel coup du sort ne pouvait pas ne pas donner lieu à autre chose qu’un documentaire rempli d’ironie, de la première à la dernière minute.
C’est d’abord la forme qui fait de « Riverboom » un film réussi, qui passe tout seul, qui passe même trop vite. Plus le sujet de fond est grave, plus il faut le déminer par l’humour. Et quand je dis déminer, ce n’est pas un terme choisi par hasard : l’Afghanistan est couverte par des millions de mines. Oui, des millions… Sous cette forme ludique, le film de Claude Baechtold raconte deux choses. D’abord le métier de journaliste en terrain de guerre. Ces trois là n’accompagnent pas les opérations armées, ils font avec ce voyage un autre genre de journalisme de guerre, en free lance, sur des routes où ils ne croisent aucun autre occidentaux. Sont-ils inconscients ? Surement un peu. Le referaient-ils aujourd’hui dans l’Afghanistan des nouveaux talibans : probablement pas. Mais en 2002 ils sont jeunes, sans charge de famille, idéalistes et oui, c’est vrai, un peu inconscients. Pourtant l’Afghanistan ne semble pas leur vouloir de mal. C’est l’autre axe fort du film, ce pays qui avait tout pour lui jusque dans les années 70, au carrefour de l’occident et de l’Orient, avec un passé culturel prestigieux, et qui a tout perdu. Une brève histoire du pays sous forme d’animation explique bien la situation de 2002 : l’invasion de l’URSS, les Moudjahidines, les guerres tribales, les Talibans, Ben Laden, l’arrivée des occidentaux. La suite on la connait, elle est aujourd’hui encore pire qu’elle n’est présentée dans « Riverboom ». Alors que dans la « zone verte », les militaires recréent un semblant de modernité, dans le reste du pays que parcourent les trois journalistes c’est l’inverse : champs d’opium et de cannabis, racket, guerres de petits chefs, infrastructures inexistantes, armes à feu, barrages installés par on ne sait trop qui… La religion est sans doute la chose la moins évoquée dans « Riverboom », à part celle des trois journalistes (un catholique et deux protestants). Est-ce que parce que l’Islam n’est qu’un problème parmi d’autres en 2002 ? Il est vrai qu’en 2002 les Talibans ne sont plus au pouvoir, mais ils dominent encore tout le sud du pays. Et on sait ce qu’il adviendra. Reste l’impression d’un pays magnifique saccagé et fragmenté, un pays à l’avenir déjà plombé, un pays insaisissable que les trois journalistes tentent d’appréhender sans a priori. C’est l’absence d’idées préconçues qui donne à ce film sa force sur le fond. C’est un documentaire fort, drôle et sincère que « Riverboom », une séance de cinéma pas comme les autres, un voyage dans un pays qui ressemble beaucoup à un paradis perdu.