Dissidente est le premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny : "Avant Dissidente, j’ai réalisé une dizaine de courts métrages dont plusieurs fictions déjà inspirées de longues recherches documentaires. Mon film Tala s’intéressait aux aides ménagères philippines qui travaillent dans les familles bourgeoises québécoises. Lors de l’enquête que j’ai menée pour le réaliser, j’ai découvert la communauté des migrants guatémaltèques qui est devenue le coeur de Dissidente", confie le cinéaste.
Les aides ménagères philippines et les travailleurs guatémaltèques de l’industrie agricole font partie du programme des travailleurs étrangers temporaires. "C’est un mécanisme du gouvernement fédéral canadien qui permet aux entreprises d’importer de la main-d’œuvre de différents pays du tiers monde avec lesquels le Canada a des ententes diplomatiques. C’est le cas du Mexique, du Guatemala et des Philippines. Si les Philippines fournissent surtout des femmes qui deviennent aides ménagères, l’Amérique Centrale offre des bras masculins pour travailler dans nos champs ou dans nos usines de transformation alimentaires."
"J’ai commencé à m’y intéresser en 2013, j’ai recueilli énormément d’informations sur ce programme, et je me suis rendu compte qu’on parlait très peu des abus… J’ai d’abord pensé réaliser un documentaire pour vérifier les allégations que j’avais lues pour savoir s’il y avait ou non exploitation de ces travailleurs", raconte Pier-Philippe Chevigny.
Pier-Philippe Chevigny a d'abord choisi Ariane Castellanos qu'il avait déjà rencontrée en 2015 pour Vétérane, un des courts métrages du réalisateur. Ce dernier se rappelle : "Elle avait auditionné pour un petit rôle mais avait été si extraordinaire que je l’avais écrit pour qu’elle soit plus présente à l’écran. Quand elle m’a révélé qu’elle était à moitié guatémaltèque, j’ai changé le nom du personnage de Dissidente pour qu’on ne puisse imaginer personne d’autre dans le rôle."
"Son personnage est pivot, il s’adresse directement au public face à un problème moral : la nourriture est plus ou moins abordable parce que quelqu’un au bout de la chaîne de production est exploité. N’est-ce pas le temps de refuser ce système en acceptant de payer un peu plus cher nos courses ?"
A l'origine, Pier-Philippe Chevigny voulait chercher des acteurs au Guatemala et avait même organisé des auditions à Guatemala City pour les rôles principaux. Mais à cause du Covid, seulement deux des comédiens recrutés ont réussi à obtenir un visa pour venir au Québec. Le metteur en scène précise : "Nous avons dû nous retourner à la dernière minute pour trouver des Guatémaltèques ici. Ariane m’a beaucoup aidé, elle est d’ailleurs créditée comme directrice de casting. Je tenais à ce que tous les travailleurs soient de vrais guatémaltèques, et non pas issus de différents pays d’Amérique Centrale. Un seul acteur est mexicain et j’ai réécrit son rôle pour que son personnage le soit aussi."
"Finalement, le casting est un mélange de comédiens et de non-professionnels. Luis Oliva qui interprète Juan, celui qui joue de la guitare, a plus de 20 ans de métier et est assez connu au Québec, tandis que Nelson Coronado (Manuel, celui qui a mal au dos) n’avait fait que quelques figurations."
Au Québec, le film est sorti sous le titre Richelieu : "Outre la sémantique que je trouve très forte – Riche Lieu – , il désigne ma région natale. C’est aussi un des deux garde-manger du Québec, une vaste contrée agricole dédiée à l’industrie de transformation alimentaire. Avec ce titre, le public québécois savait immédiatement de quoi parlait le film. Nous avons tourné sur place dans une usine qui, elle, n’embauche pas de travailleurs étrangers temporaires. Les extérieurs, et notamment la fosse bouchée par les résidus du maïs, ont été reconstitués", confie Pier-Philippe Chevigny.
Stéphane, le patron, est interprété par un acteur qui a eu du succès en France et qu’on reconnaît à peine : Marc-André Grondin, révélé dans C.R.A.Z.Y., confirmé dans Le Premier jour du reste de ta vie ou dans L’homme qui rit et impressionnant dans le récent Le Successeur. Pier-Philippe Chevigny explique : "Mon film dénonce l’exploitation que subissent ces travailleurs étrangers. Je voulais que le patron qui les emploie ne soit pas l’archétype du méchant, qu’il soit plus nuancé. Pour moi, ce ne sont pas les individus qui sont à blâmer mais un système où tout le monde est à la fois victime et complice."
"J’ai vite pensé à Marc-André parce que je voulais quelqu’un que le public aime. Je ne voulais pas qu’on déteste le patron d’emblée mais qu’on ait de l’empathie pour lui et qu’on comprenne ses motivations. Je lui ai envoyé le scénario qui lui a plu et il a accepté, tout simplement."