Sébastien Lifshitz a rencontré Sylvie par hasard pendant le casting. L’idée du film a d’ailleurs précédé leur rencontre. Avec Madame Hofmann, le cinéaste voulait faire le portrait d’une femme en lutte dans le monde de l’hôpital : "Après la première année de pandémie, je trouvais intéressant de me rapprocher de l’hôpital pour voir comment la crise y avait été vécue, pendant et après. Au départ, on ne savait pas si ce casting serait possible, si on nous laisserait entrer dans les hôpitaux pour rencontrer le personnel soignant. Pendant le covid, l’hôpital était une forteresse, les personnes extérieures n’avaient pas le droit d’y entrer."
Sébastien Lifshitz a rencontré Sylvie via Cendrine Lapuyade, une directrice de casting sur Marseille qui a commencé sa recherche à travers Facebook : "Tout se faisait par téléphone, Facetime ou Zoom, pendant que j’étais confiné à Paris. Cendrine me faisait des comptes-rendus téléphoniques, ça a duré des mois. D’une certaine manière, ses comptes-rendus étaient déjà la matière-même du film parce qu’elle échangeait longuement avec les personnes qu’elle rencontrait sur les réseaux sociaux. Pendant cette recherche, Cendrine a rencontré Sylvie qui devait juste nous donner des contacts d’infirmières."
"La première fois qu’on s’est vus, c’était devant une boulangerie, pendant la pause déjeuner : je vois Sylvie arriver, comme dans le film, très spontanée, sans filtre. Elle était marquée par les mois de pandémie. Elle m’a parlé très sincèrement, et plus elle a commencé à s’ouvrir, plus je me suis intéressé à elle, comme lors d’une rencontre amoureuse."
Madame Hofmann n’est pas uniquement focalisé sur l’hôpital puisque l'on voit Sylvie dans sa vie privée. Sébastien Lifshitz a cherché à entrer dans la vie intime de l'infirmière : "Je voulais raconter cette femme, comprendre son parcours. J’ai été amené à rencontrer sa famille, notamment sa mère, Micheline, une deuxième rencontre fondamentale pour le film. Ce petit bout de femme a eu un parcours de vie digne d’un roman de Zola : immigrée italienne, orpheline à 7 ans, séparée de sa sœur toute petite, commençant à travailler très tôt dans les champs."
"Elle est entrée à l’hôpital comme femme de ménage, a passé un concours interne pour devenir aide-soignante et a fait toute sa carrière à l’hôpital. Elle s’est sauvée de la misère de sa petite enfance, elle aussi par la méritocratie républicaine et par son incroyable force intérieure."
Comme Adolescentes, Madame Hofmann est très ancré dans la période de son tournage : il y est ainsi question de l'élection présidentielle de 2022 et de la guerre en Ukraine : "C’est sûr que nous vivons l’une des périodes les plus anxiogènes que l’on ait vécu en Europe et cela s’est répercuté dans le film. Après quarante années de travail, Sylvie décide finalement de partir de l’hôpital, à bout, et de prendre sa retraite."
"Il s’agit de sauver sa peau, elle a quand même fait un AVC, alors dès qu’elle a entraperçu une porte de sortie, elle l’a saisie. Elle ne veut pas suivre le même parcours que sa mère. Elle veut échapper à ce destin de maladies chroniques, reprendre possession de sa vie et enfin se construire une existence décente. Le film bascule à ce moment-là dans son deuxième acte en essayant d’accompagner Sylvie dans une forme de libération."
"D’ailleurs, je me demande ce qui va se passer lorsque tous les soignants de sa génération partiront de l’hôpital. La nouvelle génération est plus soucieuse de justice sociale et du traitement qui leur est réservé. On voit bien qu’il y a là un conflit de génération qui percute l’hôpital. Les soignants seront de moins en moins malléables, l’hôpital va muter, c’est inévitable", raconte le metteur en scène Sébastien Lifshitz.
A la fin du tournage, Sébastien Lifshitz avait environ 150 heures de rushes : "Dans le documentaire, la question du montage est essentielle parce que c’est le moment où l’on structure véritablement le récit, il n’y a pas de scénario pré-existant. Avec Delphine Genest, ma monteuse, ce qui nous a paru évident, c’est que dans les premiers mois où j’entre dans la vie de Sylvie, sa vie est sous tension."
"J’étais face à une personne à bout de nerf et on a essayé de restituer ça dans la première partie du film. Puis, à partir du moment où elle prend la décision de partir à la retraite, elle suit un chemin de libération et le film entre dans un autre rythme, plus intime et joyeux", note le cinéaste.
Sébastien Lifshitz nous en dit plus sur son équipe, qui s'est intégrée dans le quotidien d’un service hospitalier et dans l’intimité de Sylvie, Micheline, Fred : "Elio Balézeaux est un jeune chef opérateur qui a été formé à la Ciné-Fabrique. C’est son premier long. Je cherchais quelqu’un de jeune, d’énergique, de sensible au documentaire et qui ait une exigence du cadre. Il a fallu qu’il entre dans une grammaire particulière et très vite, il s’y est adapté."
"La durée du tournage et la récurrence des lieux nous ont aidé à mieux appréhender l’espace, à repérer les angles défaillants et les lumières compliquées. L’urgence des situations nous a aussi forcé à travailler plus à l’épaule, mais dès que l’on pouvait mettre la caméra sur pied, on le faisait. On avait aussi la contrainte du format scope dans des endroits souvent petits. Tout ça a fabriqué une écriture qui s’est affiné au fur et à mesure du tournage."
"Pour le son, François Abdelnour a demandé aux soignants s’ils étaient d’accord pour être enregistrés en permanence et on leur mettait un micro caché sous leur blouse, ce qui nous permettait d’avoir une certaine liberté avec la perche. Dans l’ensemble, on a eu très peu de refus, que ce soit avec les patients ou l’équipe de soignants. D’ailleurs, je tiens vraiment à remercier l’APHM pour m’avoir permis de filmer autant dans l’hôpital."