Saïd Hamich est né en 1986 et n'est donc pas contemporain des années 1990. Le cinéaste explique pourquoi il a choisi de situer l'intrigue de La Mer au loin durant cette décennie : "D’abord parce que le raï, d’un point de vue émotionnel et esthétique, était l’un des principaux moteurs de ce projet. Et le raï a connu un âge d’or à Marseille fin des années 80 – début 90's, c’était important d'ancrer cette musique et la ville de Marseille dans le présent et le quotidien de mes personnages."
"Je suis arrivé en France en 97. Mon père était ouvrier agricole dans le Sud-Est de la France et on fréquentait beaucoup Marseille et cette communauté maghrébine. Je me suis inspiré du parcours et du vécu de certains immigrés qui m’ont marqué et dont la vie sentimentale était très liée à la question des papiers. A partir de ces deux éléments, je voulais représenter la pluralité de ces parcours de migrations et d’exil. Je voulais saisir ce sentiment de l’exil et de l’exilé qui n’est pas que social."
"Il y a quelque chose de très intime et de très insondable là-dedans, et donc de cinématographique. De fait, cette reconstitution des années 90 est avant tout émotionnelle. L’une des références les plus importantes du film était L'Éducation sentimentale de Flaubert. Le personnage principal, Nour, est davantage traversé par l’Histoire qu’il n’y participe. Pour traiter de ce sentiment de l’exil, j’aurais trouvé inapproprié, voire faux, d’avoir un personnage qui décide tout ce qui lui arrive."
"Je voulais avoir un sentiment de flottement chez le personnage principal, très propice aux rencontres et au romanesque."
Les deux précédents films de Saïd Hamich se déroulaient sur une durée courte. Il s'agissant de fictions où le réalisateur réfléchissait à la façon dont l'identité d'un lieu que l'on a quitté ou que l’on retrouve peut nous imprégner. Mais pour La Mer au loin, il a voulu traiter du sentiment de l'exil qui est une affaire de temps : "Essayer de faire ressentir la part insondable de l'exil ne me paraissait possible que par le romanesque."
"Je voulais ne pas figer les personnages dans leur identité de migrants mais aborder leurs rencontres, leurs doutes, leurs amitiés, leurs amours, leurs croyances. Et voir comment Nour pouvait se construire intérieurement sur un temps long, comme dans une forme de roman d’apprentissage. Il s’agit bien de sonder les parcours dans leur intime et non par un traitement misérabiliste ou purement social", confie Saïd Hamich.
Pour le rôle de Nour, Saïd Hamich a choisi Ayoub Gretaa, un acteur peu connu. Le metteur en scène a mis du temps à le trouver car il avait besoin d'un comédien qui soit physiquement très à l'aise dans son corps pour évoluer sur dix ans, avec des scènes de danse, etc. Il précise : "Mais surtout, je voulais quelqu'un jouant avec sa sensibilité et son émotion, qui soit à l’aise de jouer en silence, avec le regard. On m’a alors parlé d’Ayoub Gretaa qui est connu au Maroc pour avoir joué dans une série très populaire."
"Il avait exactement le regard et le physique que je recherchais. J’ai découvert un homme très sensible, très émotif, toujours prêt à accueillir l'émotion de l'autre. Et puis son regard avait quelque chose de lumineux, rieur mais aussi très mélancolique dans sa tendresse. En un instant, il pouvait passer du jeune fougueux à l’homme mature et posé. Nous avons réalisé deux, trois essais, et j’ai su que nous ferions le film ensemble. Et je me suis dit « voilà, cela va être beau que ce film soit regardé à travers ses yeux »."
La Mer au loin a été présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024 en séance spéciale.
Concernant la mise en scène, Saïd Hamich a cherché à ne jamais faire de plans dont il ignore le point de vue. Il raconte : "C’était d'autant plus important face à un personnage qui est lui-même dans le regard et dans le silence. Faire simple à chaque fois. Mais en même temps, nous avions Tom et moi cette envie de stylisation, d’assumer le mélodrame et de créer un univers adéquat. On s’est inspiré des films de Fassbinder mais aussi d’Ettore Scola ou encore plus récemment de Todd Haynes."
"On a donc essayé des mouvements de caméra amples mais jamais grandiloquents, qui donnent aux personnages quelque chose de mélodieux et de romanesque. Avec toujours l'idée d'être au bon endroit avec les comédiens. C’est l’envie de cet équilibre-là qui nous a guidé pendant la fabrication."