Vous ne saviez pas qu'il y avait un cinéma bhoutanais? Eh bien, vous le savez maintenant, et comment! Pawo Choyning Dorji, fils de diplomate, a vécu en Inde, a été diplômé en sciences politiques aux US et a obtenu une qualification en philosophie bouddhiste; son premier film a déjà été nominé aux Oscars. Et c'est à lui qu'on doit cette petite merveille, cette comédie tendre, affectueusement moqueuse, formellement parfaite qui vous donnera illico l'envie de changer de nationalité, et de relever désormais de ce pays sublime aux paysages doux et poétiques Les faits: en 2006, le roi abdique et décide qu'il y aura désormais une monarchie constitutionnelle. Le peuple est appelé à voter. Les interdictions de la télévision et de l'Internet sont levées; le pays se dote même d'une chaine de télévision officielle! Le roi démissionnaire a décidé que son pays allait rentrer enfin dans l'ère de la modernité (raisonnable...)
C'est à cette époque que Dorji situe son histoire, dans un petit bourg, Ura. Les riches (il n'y en a pas beaucoup) font étalage de leur prospérité en achetant la plus grosse télévision! Mais la nouvelle de l'abdication du roi et de la tenue d'élections ne mobilise pas beaucoup la population. En fait, ils ne voient pas l'intérêt du truc. Ils sont heureux comme ça!!! Alors, pour éduquer le peuple, les autorités décident d'organiser des élections blanches, de fausses élections, ainsi les villageois apprendront ils à s'inscrire sur les listes électorales, et mettre dans l'urne un bulletin, en l'occurrence pour trois partis fictifs; on prépare des bulletins aux trois couleurs primaires bleu (pour l'égalité) , rouge (pour le développement de l'industrie) et jaune (pour la préservation de l'environnement)
Cette situation ne plait pas au Lama, actuellement en retraite spirituelle dans un minuscule monastère au bout du monde; il décide, le jour de la pleine lune, qui coïncide avec le jour de l'élection fictive, d'organiser une grande cérémonie pour "redresser la situation", et charge son dévoué moinillon, Tashi (Tandin Wangchuk), de lui ramener deux armes. Armes? Qu'est ce qu'une arme? Personne n'a d'armes, on ne sait même pas ce que c'est... Pourtant, un des villageois, Penjor, possède au fond de son grenier une arme, un fusil de collection, très ancien, et quelqu'un le sait, c'est Benji (Tandin Sonam), un jeune type magouilleur qui néglige sa femme malade et a promis de le vendre à un américain, plus ou moins trafiquant d'armes, Ron (Harry Einhorn) Penjor refuse la somme astronomique promise par l'américain, il veut bien lui vendre mais pour beaucoup moins cher -il y a marchandage à rebours...., l'affaire est finalement faite, mais comme Penjor reçoit la visite de Tashi, il lui donne évidemment la préférence, pour rien, puisque c'est pour le Lama! Et gratuitement, au moins!!!
Il y a encore la jolie Tshomo (Deki Lhamo), mariée elle aussi à un époux fainéant et passablement irresponsable, qui voterait autrement que le reste du village, et déjà, à cause de ces foutues élections, la discorde s'installe jusque dans la cour de l'école où la fille de Tshomo se fait harceler.... Ils étaient tellement mieux, avant, tout le monde s'entendait bien...
Voila le point de départ, la trame de ce récit qui va cheminer paisiblement sur les pas de Tashi, Benji et les autres jusqu'au dénouement, la grande cérémonie organisée par le Lama. Chacun, chacune a mis son beau costume, le trafiquant, Benji son guide et les douaniers qui lui courent après sont là aussi... on se retrouve, on chante, on danse, et nous spectateur on n'en peut plus de ce suspense: parce que, qu'est ce qu'il a bien pu imaginer le Lama? On est inquiets quand même... C'est bien plus palpitant que les films officiellement de suspense!
La fin du film, enfin pas tout à fait la fin, il y a encore deux minutes de projection après mais disons que c'est quand même la fin littéraire, c'est la meilleure fin de film, la plus inattendue, la plus irrésistible, depuis... Nobodys' perfect. Ca remonte...
Ce film qui ne ressemble à rien de ce qu'on a l'habitude de voir, avec sa tendresse pour ses personnages, sa drôlerie, ses rebondissements inattendus, sa morale aussi, et puis son dépaysement avec de magnifiques paysages est un chef d'oeuvre. Il faut courir le voir tant qu'il est encore sur les écrans