Le réalisateur Wim Wenders et l'artiste contemporain Anselm Kiefer sont nés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à quelques mois d'intervalle. Le premier explique : "Nous avons passé notre enfance dans le même pays en ruines, avec une image de soi détruite, peuplé d’adultes - y compris des parents et des enseignants - qui voulaient frénétiquement se créer un avenir et qui essayaient tout aussi frénétiquement d’oublier le passé ou de faire comme s’il n’avait pas eu lieu."
"Pendant qu’Anselm étudiait le droit à Freiburg-im-Breisgau, j’y étudiais la médecine. Nous aurions pu nous rencontrer à ce moment-là, mais nous avons tous deux bifurqué : il est allé dans une école des Beaux-Arts, j’ai fait une école de cinéma. Mais comme rien n’est plus formateur que les premières impressions, nous avions beaucoup à partager et de nombreux points communs. Évidemment, nous avons ensuite canalisé nos expériences d’enfance de manière très différente."
Né en 1945 à Donaueschingen, en Allemagne, Anselm Kiefer est l’un des artistes contemporains les plus importants et les plus polyvalents. Sa pratique artistique intègre différents médias, dont la peinture, la sculpture, la photographie, la gravure sur bois, les livres d’artiste, l’installation et l’architecture.
Wim Wenders et Anselm Kiefer se sont rencontrés pour la première fois en 1991, au moment où ce dernier préparait sa grande exposition à la Neue Nationalgalerie de Berlin. "C’est alors que nous avons appris à nous connaître : nous dînions ensemble presque tous les soirs à l’« Exil », un restaurant qui n’existe plus. Nous fumions, buvions et parlions beaucoup. J’ai été époustouflé lorsque j’ai vu l’exposition - elle était absolument fantastique et m’a ouvert les yeux. Dès cette époque, au cours de nos discussions, nous avons envisagé de faire un film ensemble. Mais pendant que j’étais occupé avec Jusqu’au bout du monde et Si loin, si proche !, Anselm a déménagé dans le sud de la France et nous nous sommes perdus de vue pendant des années", se rappelle le cinéaste.
C'est lorsqu’un ami commun a emmené Wim Wenders dans la commune française de Barjac, où Anselm Kiefer a travaillé pendant près de trente ans et a créé la topographie la plus incroyable de son œuvre, que le cinéaste s'est dit : "C’est maintenant ou jamais !" : "Le paysage comprend diverses constructions architecturales, de nombreux pavillons, des cryptes souterraines et même un gigantesque amphithéâtre couvert. Là encore, je n’avais jamais rien vu de tel. Lorsque j’ai fini par rencontrer Anselm à Barjac, ce fut comme si nous reprenions notre relation là où nous nous étions arrêtés des années auparavant."
"Très peu de temps après, je lui ai rendu visite dans son atelier de Croissy, près de Paris, où nous avons « topé là » et décidé de faire le film ensemble. Cela a pris deux bonnes années, avec plusieurs tournages à Barjac (j’avais besoin de montrer le lieu à différentes saisons) et à Croissy. Nous avons également tourné dans les montagnes reculées de l’Odenwald, où Anselm avait eu ses premiers ateliers et avait rénové une ancienne usine de briques qui constituait en elle-même un véritable microcosme de son travail. La région natale d’Anselm, la campagne près de Rastatt et du Rhin, était un autre lieu de tournage."
"C’est encore un point commun que nous nous sommes découverts : la présence en nous depuis notre enfance de ce grand fleuve que nous avons connu à des endroits différents - Anselm près de sa source, avec la France de l’autre côté, tandis que j’étais près de la Belgique, des Pays-Bas et de son embouchure."
Avec Anselm (Le Bruit du temps), Wim Wenders n’a jamais eu l’intention de tourner une biographie. Il justifie ce choix : "La vie d’un homme devrait toujours rester son domaine privé. Avec Pina, je n’ai jamais été intéressé par sa « vie » de chorégraphe ou de danseuse. La vie privée est sacrée. Ou plutôt : sacro-sainte. Mais le travail et l’art valent la peine d’être explorés dans un film, que ce soit pour mieux les comprendre moi-même ou, mieux encore, pour permettre à d’autres de les voir. La stupéfiante quantité de travail, la complexité des références d’Anselm aux mythes, à l’histoire, à l’alchimie, à l’astronomie, à la physique et à la philosophie me sont d’abord apparues comme des obstacles insurmontables. Mais le fait de filmer tout cela et de visiter les lieux marquants du parcours d’Anselm m’a permis d’y voir plus clair."