Ce film a obtenu le Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2023.
C'est en pensant à la manière dont elle a vécu la puberté qu'Amanda Nell Eu a commencé à réfléchir au scénario de Tiger Stripes. La réalisatrice se rappelle : "J’étais mal dans ma peau, je détestais mon corps et j’étais terrifiée par tous ces bouleversements. À cela s’ajoutaient les commentaires désagréables des gens qui jugeaient mon corps comme si c’était un sujet de conversation public. Je voulais raconter cette horreur du corps d’une fille qui découvre tous ces changements chez elle."
"On entend toujours dire que les adolescentes sont de vrais démons, des folles soumises à leurs émotions, et ça m’amusait d’écrire un personnage qui se transforme réellement en monstre. Du style : « Vous voulez que je vous montre ce que c’est, un vrai monstre ? » Par-là, mon intention était aussi de questionner l’idée même de monstre, et la définition du beau et du monstrueux. Dans Tiger Stripes, j’ai à coeur de célébrer le monstre, parce que c’était comme ça que je me percevais en grandissant."
Au début, Zaffan était très proche de Amanda Nell Eu et des expériences qu'elle a vécues et observées dans son adolescence. Puis, le personnage a commencé à changer au moment du casting : "Mon adolescence est loin derrière moi, mais les épreuves que j’ai traversées à l’époque n’ont pas disparu et parlent toujours aux jeunes filles d’aujourd’hui. C’est comme ça qu’on a fait évoluer le personnage."
"Puis la rencontre avec Zafreen Zairizal, qui interprète Zaffan, a été essentielle. Zafreen est une jeune fille au courage et à la détermination incroyables. Elle est taquine, impertinente au possible, et j’ai vu le feu qui brûlait en elle pendant le casting et qui correspondait parfaitement au rôle. C’est cette énergie qui a permis de transposer un personnage de papier sur le grand écran", se souvient la cinéaste.
Le casting de Tiger Stripes s'est déroulé pendant la pandémie et, en raison du confinement, il a été très difficile d'organiser de grandes auditions dans les écoles. À la place, la directrice de casting a publié des annonces en ligne et contacté des jeunes filles repérées sur TikTok et Instagram. Amanda Nell Eu explique : "Elle a réussi à sélectionner environ 200 filles et, chaque fois que la situation sanitaire s’assouplissait un peu, on se dépêchait de les auditionner. Une fois notre liste réduite à une trentaine de candidates, on a mis en place des ateliers avec un coach en jeu d’acteur. Dans le cadre des ateliers — un vrai luxe, étant donné le report de la production en raison de la pandémie — on a abordé les thèmes du film, le harcèlement scolaire, l’image corporelle, la confiance en soi…"
"Il y avait aussi des cours de théâtre pour montrer aux filles comment s’ouvrir et partager. Zafreen se démarquait largement des autres, c’était une vraie star. Les autres actrices principales, Deena Ezral et Piqa, brillaient aussi à leur manière. Il y avait une alchimie extraordinaire entre elles pendant l’atelier."
Pour la métamorphose de Zaffan, Amanda Nell Eu a puisé dans le folklore d’Asie du Sud-Est. C’est une variation sur la figure du « Harimau jadian », un tigre-garou issu du folklore de la région de Nusantara, très populaire en Indonésie et présent aussi en Malaisie. La réalisatrice précise : "C’est un tigre qui se transforme en être humain pour essayer de s’intégrer à notre société. Dans Tiger Stripes, ma démarche est à l’opposé : il s’agit de rompre avec la société et ses normes pour vivre une existence libre et sauvage, en se reconnectant aux beautés de la nature environnante."
"Tiger Stripes est aussi un hommage aux vieux films d’horreur malais, particulièrement dans la conception des monstres, ainsi qu’une ode aux maquillages d’effets spéciaux. Il y a beaucoup de références au cinéma d’horreur des années 80, notamment House (1977). Du côté des contes de fées, je m’inspire du Vilain Petit Canard, surtout pour la relation mère-fille. Zaffan est un vilain petit canard qui se transforme en quelque chose que personne ne comprend."
Amanda Nell Eu a cherché à retranscrire l’énergie des personnages et des actrices elles-mêmes. La cinéaste voulait aussi filmer les couleurs de la Malaisie. Elle note : "Dans notre pays, les écoles débordent de couleurs et on laisse la végétation s’épanouir sans contraintes. Certaines scènes ont aussi une atmosphère éthérée et fantastique, pour faire sentir au public qu’il s’agit d’un conte de fées, l’histoire d’une jeune fille qui habite dans un monde lointain. Le lieu de l’action n’a ni nom, ni cadre géopolitique déterminé. On sait que ça se passe en Malaisie et c’est tout."
"Les contes de fées et les récits populaires me plaisent parce qu’ils ne s’arrêtent pas à une région spécifique. Ils sont transmis oralement et perdurent à travers les générations, car peu importe l’époque, on peut s’y identifier. C’est quelque chose que j’adore dans les histoires, et c’est pour ça que je voulais créer un sentiment d’intemporalité dans Tiger Stripes. D’un côté, les ados ont des portables dans le film, mais de l’autre, elles sont obsédées par les autocollants, alors que c’est un truc des années 90 ! C’était une façon de rendre l’histoire encore plus universelle."