Guillaume Senez s'était rendu au Japon en 2018 avec Romain Duris, pour accompagner la sortie japonaise de Nos batailles, son précédent film. Le metteur en scène se rappelle : "On s’était avoué notre envie commune de retravailler ensemble, on commençait à se parler de sujets qui nous inspiraient, jusqu’au jour où des expatrié⸱e⸱s nous ont confié ces histoires de parents en lutte pour revoir leurs enfants après une séparation."
"Émus par ces récits, il y avait là une évidence, la promesse d’un récit, un nouveau film possible pour nous. J’ai vite contacté mon co-scénariste Jean Denizot et dès mon retour, l’écriture a débuté. Je ne suis donc pas d’abord tombé amoureux du Japon, mais d’une histoire qui se passe au Japon."
Au Japon, quelqu’un a d’abord parlé à Guillaume Senez et Romain Duris de ce phénomène de gardes exclusives. Le cinéaste et l'acteur ont ensuite contacté quelques personnes concernées : Vincent Fichot, qui a fait une grève de la faim pendant les Jeux olympiques de Tokyo en 2021, puis Emmanuel de Fournas et Stéphane Lambert. Il se souvient : "Trois Français parmi une multitude de cas, puisqu’on parle de 150 000 « enfants enlevé⸱e⸱s » par an par l’un des deux parents au Japon. Leurs témoignages nous ont bouleversés."
Lorsque Guillaume Senez est retourné au Japon en 2022, il a accompagné Vincent Fichot dans une manifestation contre les enlèvements d’enfants. Là, le réalisateur a recueilli d’autres témoignages et a réalisé à quel point ce phénomène concernait autant de Japonais⸱es que d’étranger⸱e⸱s, autant d’hommes que de femmes. Le metteur en scène précise :
"D’après un sondage, environ 60% de la population japonaise souhaiterait que les choses changent. Le Parlement a récemment voté une loi pour instituer la garde partagée mais, culturellement, la police nippone intervient rarement dans les affaires familiales. Sans compter que le gouvernement tient souvent des positions conservatrices, notamment concernant le mariage."
Guillaume Senez tenait à ce que le héros de Une part manquante ne dorme jamais ; il devait initialement travailler le jour pour errer la nuit, mais c’est devenu l’inverse. Le taxi évoque une idée d’errance et de solitude, ramenée à un mode de vie presque monacal chez Jay. Le cinéaste confie : "Le Samouraï (1967), de Jean-Pierre Melville, nous a beaucoup influencé à l’écriture ; l’isolement de Jef Costello ; son appartement vide de tout ; son animal de compagnie avec qui il entretient une relation particulière ; sa résignation, et cette intrigante détermination à foncer droit dans le mur."
"Et puis le taxi, c’est enfin le désir de filmer la ville comme un travelling permanent. Il y a du mouvement. C’est drôle, car le travail d’Akira Kurosawa m’a appris à enrichir l’arrière-plan d’une image ; on y voit toujours chez lui du vent, de la pluie, du feu, des passant⸱e⸱s... J’y fais attention depuis longtemps, or je n’ai jamais autant appliqué cette règle qu’au Japon !"
Guillaume Senez a travaillé avec une directrice de casting japonaise, qui lui a d’abord fait des propositions un peu lisses. Le réalisateur se remémore : "Je sentais qu’elle m’amenait dans un cinéma un peu convenu ; or j’aime les singularités. Elle est donc revenue avec des profils plus étonnants : le libraire est par exemple incarné par un chanteur, la grand-mère par une autrice de mangas... Autrement dit, des gens dont ce n’était pas le premier métier mais qui apportaient ce petit pas de côté qui me plaît tant."
Avec Une part manquante, Guillaume Senez retrouve Romain Duris six ans après Nos batailles. Le cinéaste, qui apprécie le travail de l'acteur depuis Le Péril jeune (1994), explique : "C’est un grand bosseur, qui n’hésite pas à confier ses doutes et à faire des propositions sur le plateau. Et puis on a découvert cette histoire ensemble, il n’a jamais été question de collaborer avec ,quelqu’un d’autre. C’était le premier à m’envoyer des articles de presse, à lire les premières versions du scénario..."
"Il y a ,aussi certainement une part d’inconscient dans le choix d’un comédien : sur Nos batailles, l’équipe inversait souvent nos prénoms respectifs ! C’est revenu dès la préparation d’Une part manquante, étrangement. Je ne dis pas que je lui ressemble, mais il y a comme une projection mutuelle."