J'aime les années 80 américaines. Les rues sombres de Seattle avec les fumerolles de ses bouches de métro, les lampes dont les rais de lumière blafarde sont matérialisés par l'épais et constant nuage de fumée de cigarette, et les néons.
Membre du mouvement qui érige le citoyen émérite en héros (ici, la psychologue plutôt que le sempiternel détective), Engrenages est rapidement ambigu. Le spectateur venait voir le film pour connaître le frisson, or le personnage de Lindsay Crouse ne peut pas nous en donner vu qu'elle aussi le recherche. Auteure d'un best-seller, elle veut savoir ce que c'est que le vrai mal, voire d'avoir mal. Elle en a assez de seulement l'étudier chez les autres et d'écrire dessus sans le connaître.
S'ensuit une formidable manipulation des tensions où la gentille psychologue devient peu recommendable et où l'on s'attache aux criminels. Dans cette inversion de notre rapport à la morale, il n'y a pas de bons et de méchants, seulement une recherche du mal dans laquelle les rebondissements seront rois. Voulus plus profonds que jamais, ils apparaissent un peu forcés avec le recul. Heureusement, Mamet tire le meilleur d'un tournage qu'il a voulu intimiste, avec sa femme et un ami au casting plutôt que des grands noms.
Le film a été produit directement à la télévision et en vidéoclub, étant resté marginal au cinéma. Cette distribution qu'on pourrait croire paresseuse et injuste est en fait exactement le traitement dont House of Games avait besoin, car trop d'attention l'aurait usé. C'est un bon film qui se déguise en plaisir coupable, car il faut se sentir un peu coupable de le voir afin de se mettre dans la peau du personnage - rappelez-vous, c'est quand elle trouvera le frisson pour elle qu'on y aura droit pour nous.
Un pistolet, un jeton de poker, des pages de note, un couteau : une myriade d'objets contiennent un pouvoir immense et le scénario leur voue presque un culte. En-dehors de ça, la profondeur n'est certes pas au rendez-vous malgré les tentatives d'en faire preuve, cependant elle n'a jamais été l'objectif. Il faut éviter de le voir pour son aspect « cercles vicieux » et « descente aux enfers d'une brave Américaine », car si c'était voulu, on passe de toute manière trop vite dessus pour que ça fonctionne. Or, ce que le film précipite, c'est ce qui l'aiguise et lui permet de traverser presque pernicieusement les couches de la bienséance.
Pour finir, Mamet n'a jamais visé le seul frisson. Sous ses airs de ne pas y toucher et d'effleurer à peine le monde de l'arnaque (qui passe, chez lui, plus pour un tour de magie que pour un crime ou même le “confidence game” intriqué qu'il nous promet, finalement), House of Games a quelque chose de démoniaque en lui. Les méchants ne gagnent pas à la fin : c'est le mal qui gagne. J'aime les années 80 américaines.
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