Honnête travailleur injustement accusé d’un crime, Joe est arrêté par un shérif local. Il a beau clamer son innocence, le bouche à oreille et l’image laxiste de la police vont conduire la ville tout entière à vouloir le lyncher sans sommation… Après avoir fui le nazisme, Fritz Land débarque aux Etats-Unis, et ne fait pas dans la demi-mesure pour son premier film tourné sur place. Cette œuvre féroce, où tout le monde en prend pour son grade, tacle fortement le système américain. L’honnêteté et le rêve américain ne paient pas, les policiers sont expéditifs, la justice est déconnectée des réalités, les politiciens sont égoïstes, les journalistes sont voyeurs. Mais surtout, les individus sont des bêtes (dans tous les sens du terme). Il suffira d’un mélange de stupidité collective, d’ennui, de bouche à oreille hypocrite, et de l’image d’un système judiciaire laxiste, pour mettre le feu aux poudres. Le tout filmé avec beaucoup d’intelligence… et de vitriol, dont plusieurs parallèles osés. On pense aux bourgeoises hautaines de la ville comparées à des poules qui caquètent, ou aux policiers qui arrêtent notre héros littéralement sur la base de cacahuètes (en anglais, « peanuts » signifie aussi « insignifiant »). Une vision pessimiste, qui n’a jamais été autant à propos, quand on voit aujourd’hui certaines vindictes populaires sur les réseaux sociaux, basées sur une simple image ou une information douteuse. On peut aussi y déceler quelques éléments de critiques ou références au nazisme, avec ces images de buildings en flammes devant un public en liesse, évoquant les autodafés de livres, ou ces gros plans sur les visages faisant penser au cinéma expressionniste des années 20/30. Spencer Tracy est quant à lui fort convaincant en Américain modeste, qui va devenir mauvais en voyant s’effondrer la confiance qu’il avait mis dans le système. On repère tout de même quelques lueurs d’espoir.
Si le happy-ending a été imposé par le studio (Fritz Land souhaitait que le protagoniste soit en réalité bel et bien coupable !),
il y a l’idée que le cinéma, même apporté par des individus peu scrupuleux (la presse) peut apporter une vérité, avec une séquence de mise en abîme originale pour l’époque. « Fury » est donc une œuvre maligne, qui n’a rien perdu de sa force, bien au contraire.