Après le Tokyo de Perfect Days, retour au Japon dans une petite ville au bord d’un lac, proche de la côte Est, pour un film bien différent et tout aussi réussi, avec des dimensions que le film de Wenders, très beau au demeurant, ne possède pas : un suspens, une tension, des enjeux.
L’Innocence, c’est d’abord un petit bijou scénaristique (Yūji Sakamoto) qui prend la forme d’une narration complexe, plusieurs récits parallèles sans chronologie apparente, dans la première partie du film. Récits de micro-évènements vécus ou fantasmés par des témoins périphériques (parents, enseignants, communauté éducative). Micro-événements qui constituent, ils ne le savent pas encore, autant de stratagèmes visant à les détourner d’une vérité qu’ils jugeraient, a priori, inacceptable.
Narration qui va dévoile peu à peu son sens, le secret de ses deux principaux héros instigateurs. Deux jeunes garçons, aux comportements étranges, qui s’obligent à cacher, d’abord à eux-mêmes, leur affection, leur amitié-amour, pour ne pas affronter le jugement de leur environnement. Leurs grands et petits mensonges vont provoquer des situations conflictuelles et dangereuses dont on cachera le dénouement.
L’Innocence, c’est aussi une interprétation parfaite de tous les acteurs-personnages, enfants comme adultes. Et une mise en scène équilibrée, sans emphase, signée Hirokazu Kore-eda, maîtrisant les scènes intimistes aussi justement que la violence du tsunami qui déferlera sur la petite ville.
J’ai passionnément suivi ce double récit de faux-semblants, leurs retentissements sur les enfants et sur leurs proches. Jusqu’à ce que ces derniers, et nous spectateurs, comprenions enfin la vérité qu’ils masquaient, découvrions les territoires cachés de leur belle histoire (le tunnel enfoui, le wagon abandonné…). C’est parfois un chemin long et éprouvant, l’acceptation de soi…
Mention spéciale pour la magnifique partition de Ryuchi Sakamoto, délicate composition au piano-synthé, entre néo-classicisme et minimalisme, qui se fait l’écho des sentiments et des émotions. Le film lui est d’ailleurs dédié.
Ryuchi est décédé en mars 2023, avant la projection du film au festival de Cannes. A quand une Palme de la meilleure musique originale ? Qu’il aurait bien mérité pour ce film et pour quelques autres (Furyo,Le dernier Empereur, The Revenant…)