Quel cinéma aller voir, sinon celui qui ne me ressemble pas ?
Autrement dit : pourquoi aller voir des films qui me ressemblent ? J’aime être bousculée, secouée (en l’occurrence au ralenti), dérangée par un rythme, des cadrages, un montage, une temporalité différents de ceux vers lesquels je serais spontanément portée moi-même.
Tout au long du film, je me disais que je serais incapable de penser un tel film, de l’inventer, de le tenir pour essentiel, de le faire aller au bout.
On sent bien sûr une volonté très forte au niveau formel, mais je crois que sous cette forme belle et implacable, il faut chercher tout autre chose que de beaux sentiments.
Un homme avance sur un chemin, tellement handicapé qu’on en a mal pour lui. Le temps s’étire à l’infini, et il n’avance presque pas, c’est douloureux. Quel autre moyen ai-je d’imaginer ce que cela fait, au quotidien, jour après jour, de vivre comme cela ? Ce film me le fait sentir, pas dans ma chair, mais presque : dans mon impatience de le voir arriver. La douleur de l’ennui, c’est un début pour sentir la douleur de vivre d’autrui. Enfin peut-être;
Tout mon commentaire n’est qu’un peut-être. Ce film m’a fait réfléchir à ses intentions, à ce qu’il pouvait montrer et ce que nous devions en comprendre. C’est beaucoup, et c’est le rôle des symboles, il me semble.
C’est - peut-être - le rôle du grand cinéma.
Une femme comprend qu’on va lui enlever l’électricité. Elle tente de faire respecter, sinon la loi, mais la règle. Elle comprend aussi que le chef du village va donner raison à celui qui la lui enlève (pour aider un autre encore plus malheureux, soit). Elle se suicide. Une femme seule qui perd contre les hommes : non ce n’est pas l’altruisme seul qui parle dans cette scène. Cela parle aussi, avec une puissance incroyable, de la société iranienne, pas celle qui se bat dans les rues et les prisons pour le respect et l’égalité des femmes, mais probablement celle que vivent au jour le jour les femmes dans toutes les zones rurales : la solitude et la certitude de perdre.
Une (autre ? Elle lui ressemblait beaucoup à la première) femme très voilée attend qu’un homme âgé ait sommairement reprisé une chaussette trouée puis la lui tende, pour l’enfiler sous ses sandales. L’utilité de cette chaussette épaisse, dans ce paysage bien ensoleillé, ne paraît pas évidente.
Pourquoi cette scène ? Pourquoi la femme ne reprise-t-elle pas elle-même ?
Oui ces questions sont très basiques, triviales. Mais la scène est là, et les questions se posent à moi. Toutes les autres intentions du film sont limpides, et tout le monde a déjà cité l’altruisme, la fraternité, l’abnégation, la générosité etc.
Mais les 2 scènes avec des femmes m’intriguent, car elles ne semblent pas avoir de lien avec le récit, ou quand elles en ont un, il semble excessif (le suicide).
Je ne trancherai évidemment pas. Le simple fait qu’une scène de film soit assez forte pour me poser question est tout de même un excellent signe.
Ces scènes ne semble avoir interpelé ou intéressé personne d’autre, alors qu’au moins une d’elle me semble cruciale. Des hommes sont handicapés, meurtris, endommagés mais ils vivent. Deux femmes seulement apparaissent dans ce film. L’une d’elle meurt, sacrifiée. Il me semble que cela mérite tout de même d’être noté.
L’employé de l’électricité, (par ailleurs admirablement interprété par un acteur magnifique), manifeste tout de même une compassion sélective. C’est (encore une fois) peut-être une clef oubliée d’un film trop simple pour être simpliste.
Alors oui, on a parfois envie de sortir, ou que le rythme s’accélère, ou que la voiture ne tombe pas en panne. Mais c’est un fait : les voitures tombent en panne, les vies aussi. Et comment réparer un pays où il faut rouler pendant des heures, et démonter de vieilles pièces sur de vieux transformateurs pour en faire re-fonctionner d’un tout petit peu moins vieux ?
Quel cinéma aller voir, sinon celui qui ne me ressemble pas ?
Merci au réalisateur Hadi Mohaghegh qui nous prend pour des êtres capables d'attendre et de chercher à comprendre.