Le documentaire Apolonia Apolonia tire sa force et son originalité tant de la durée de son tournage, s’étendant sur 13 années, que de la puissante personnalité de la peintre Apolonia Sokol, dont le film brosse un portrait : le portrait de l’artiste en jeune-femme, qui, de son affirmation au sortir des Beaux-Arts jusqu’à la consécration internationale, embrasse une trajectoire humaine touchant à l’universel.
La réalisatrice a monté dans son film les images, intimes et rares au cinéma, que tournaient les parents d’Apolonia au moment de sa conception, ou encore de sa naissance, tissant ainsi un sous-texte de la maternité, et plus largement, du corps féminin, resurgissant à divers moments. En effet, Apolonia, qui se montre d’une étonnante force morale, charrie avec elle son histoire familiale, une histoire difficile pour les femmes avant tout. Peindre dans un corps de femme n’est d’ailleurs pas évident pour elle, se confie-t-elle, même si l’investissement de ce corps semble un combat de chaque instant, qu’elle l’offre à la caméra dans les gestes intimes de la toilette, qu’elle le mette en scène par des choix de vêtements d’un style rebelle étudié, qu’elle le dédie entièrement à l’art, lui refusant ainsi l’accès à toute maternité, justement, ou encore, qu’elle fasse de son exhibition son étendard libérateur qui l’affranchira de la domination du « requin de l’art contemporain » dans laquelle l’a jetée sa soif de réussite. C’est aussi que ce corps a réchappé à la mort durant l’enfance.
Se décentrant peu à peu vers une certaine dimension chorale, en contrepoints mineurs, le film s’intéresse aussi à d’autres femmes, marquées elles aussi dans leur chair par leur destinée de femme. Il y a, surtout, Oksana Chatchko, l’amie-sœur, la Femen ukrainienne originelle, arrêtée et torturée en Biélorussie, exilée et touchée par l’anorexie et la dépression, poursuivie, encore, au Lavoir Moderne de Château Rouge, qui fut la résidence d’Apolonia Sokol et où cette dernière avait recueilli les Femen, raison pour laquelle le lieu avait été la cible d’un incendie criminel et d’un attentat à l’arme blanche. Son évocation est déchirante. Il y a aussi, par un retournement de la caméra, l’irruption dans le film de la réalisatrice, Léa Glob, au moment où l’un de ses accouchements a failli lui coûter la vie.
La peinture de Sokol est plutôt survolée par le documentaire, mais celui-ci réussit à montrer, par touches successives, l’avènement social d’une femme forte – parmi d’autres qui le sont moins – en femme puissante, et les épreuves de l’empouvoirement.