Service public : les secrets du tournage

Le projet est apparu au terme d’une discussion avec Mouloud Achour, avec qui Salhia Brakhlia est amie. La réalisatrice se rappelle : "Lors de mes débuts à la matinale de France Info, je lui racontais mon quotidien et bien qu’il évolue dans les médias, il a découvert encore certaines choses, comme la réalité du rythme des matinaliers ou la rigueur particulière de la rédaction de France Info."

"Avec la campagne présidentielle qui s’annonçait dans un contexte de défiance croissante envers les médias, avec un poids de plus en plus important des réseaux sociaux, on s’est dit qu’il devenait nécessaire de montrer les coulisses d’un média aussi important que France Info."

"Une manière de couper court aux fantasmes, de déconstruire les théories du complot, notamment sur les liens étroits entre journalistes et politiques. En ouvrant les portes d’une antenne du service public, en étant transparent, on peut permettre aux gens de comprendre où va l’argent de leurs impôts, quelle est notre mission et comment nous le menons à bien."

La direction de France Info a tout de suite accepté le projet même si, au sein de l’équipe de la matinale, cela a suscité quelques petites inquiétudes (notamment sur le fait que les caméras soient présentes tout le temps...). Salhia Brakhlia explique :

"(Et oui, personne n’a forcément envie d’être filmé tous les jours à 4h du mat’) Mais on leur a expliqué que l’idée était d’être en immersion, peu importe l’actualité, peu importe l’humeur et le moral des journalistes, pour raconter le quotidien. Finalement, tout le monde a joué le jeu."

La matinale est un monde à part. Pour Salhia Brakhlia, il s'agit d'une petite société parallèle qui est "agréable à vivre parce qu’on n’est pas nombreux, on est tous globalement dans le même état de fatigue donc il y a certaine solidarité, une bienveillance qui se créé..." La réalisatrice précise :

"Et puis la bonne humeur, elle est indispensable quand on se réveille au milieu de la nuit pour aller bosser. A l’antenne, on ne s’exprime pas de la même manière qu’en pleine journée. Partant du principe que l’on réveille les gens ou qu’on les accompagne dans leur début de journée, il faut choisir les mots pour que ce ne soit pas trop anxiogène et surtout veiller à garder un équilibre entre mauvaises et bonnes nouvelles. Le but de l’opération n’est pas que les gens aient envie de se recoucher immédiatement."

Pour des journalistes de matinales, une campagne présidentielle est un peu leur coupe du monde ! Salhia Brakhlia, confie : "Pendant un an, on tient un rythme soutenu car on ne décroche jamais : on se lève politique, on mange politique, on dort politique... Et tous les cinq ans, on vit cette compétition avec son lot de surprises. Cette fois, on a assisté à l’irruption de Zemmour sur la scène politique, à la guerre en Ukraine, à la candidature d’un président sortant et à un taux d’abstention grandissant."

"Notre défi, à ce moment-là, était donc d’intéresser les Français à une élection à laquelle ils ne croient plus vraiment parce qu’ils ne se sentent pas représentés. Et l’enjeu, lors d’une campagne présidentielle, est de bien gérer le casting de vos invités car c’est un luxe d’avoir 30 minutes d’antenne le matin sur France Info. Sachant cela, on ne laisse pas parler n’importe qui et on fait bien la différence entre les personnalités politiques qui ont des choses à dire, à proposer, et les commentateurs."

"Notre ligne est de choisir ceux qui sont légitimes, qui ont vocation à agir et qui peuvent aborder des sujets qui concernent les Français en faisant avancer le débat. Cela nous oblige à refuser beaucoup de gens..."

Le devoir d’impartialité dans le service public est un thème qui revient souvent dans le film. La cinéaste Salhia Brakhlia explique : "A partir du moment où l’information est délivrée par des êtres humains, des citoyens, des gens qui pensent, elle n’est pas 100% neutre mais il y a, vis-à-vis du service public, une confiance qu’il ne faut pas trahir. Ayant toujours exercé mon métier avec un maximum de neutralité, je me plie à cette exigence avec d’autant plus de force."

"Je fais attention au choix des mots dans mes questions, j’adopte la même attitude face à tous les candidats, quel que soit leur parti. C’est pour cela que lorsqu’une interview se transforme en débat comme c’est arrivé avec l’écologiste Julien Bayou, on se fait remonter les bretelles par notre chef. C’est rare mais sur ce coup- là, nous étions fatigués, agacés par ses éléments de langage et sa langue de bois et on l’a bombardé d’arguments. On a fini par sortir de notre rôle."