Balzac fit paraître en 1839 Les Secrets de la princesse de Cadignan, une nouvelle qui décrit l’émergence du sentiment amoureux chez deux êtres très dissemblables : la princesse Diane de Cadignan, l’une des reines de Paris connue pour sa réputation de mangeuse d’hommes, et Daniel d’Arthez, un grand écrivain catholique et monarchiste, qui mène une vie ascétique. La réalisatrice Arielle Dombasle développe : "Un sentiment amoureux d’une grande force va naître entre Diane et Daniel, une véritable passion, mais sans innocence pour autant, car le passé de Diane la rend redoutable – pour les autres et pour elle-même."
"Même si c’est la première fois qu’elle aime vraiment, elle n’en recourt pas moins au mensonge, voire à la manipulation, pour se faire aimer. Ce que Balzac fait sentir admirablement, c’est qu’en amour, on agit et on est agi. On triche, on ment, on avance un pion pour feindre de le retirer. Mais, plus encore, on est agi. Le sentiment amoureux chemine en nous à notre insu. Il ne nous lâche plus, pour finalement surgir à la surface de nous, avec une évidence qui emplit à la fois de joie et d’effroi. Voilà ce qui arrive à nos deux protagonistes. C’est cette complexité qui rend si passionnant Les Secrets de la princesse de Cadignan."
"Nous adaptons également une partie du Cabinet des Antiques, paru en 1838, où apparaît également le personnage de Diane. Elle est la dernière des grandes dames de l’Ancien Régime, mais également, à sa manière, la première femme moderne. Diane vit une 'révolution' : révolution politique, celle qui renverse les Bourbons ; révolution économique, celle qui assure le triomphe de l’aristocratie d’argent au détriment de l’aristocratie d’épée, désormais ruinée ; et révolution sentimentale. Avec ces révolutions, ce sont les femmes qui prennent le pouvoir. Première des féministes, elle incarne un pouvoir au féminin."
Si Arielle Dombasle était consciente de l’ampleur du projet, elle a toujours aimé les défis et la liberté dans la création : "Je crois qu’il faut tout essayer. Il faut travailler, et retravailler, afin de trouver des solutions inventives, marginales et créatrices. Être entouré par de vrais artistes – je pense, par exemple, à mon cher Vincent Darré dont la responsabilité est allée, finalement, bien au-delà des costumes qu’il signe. Comme dit Cocteau, que nous aimons tellement Vincent et moi, « il faut cultiver son vif-argent ». Il faut aussi – et c’est le cas ici – travailler en amont, et préparer."
"Il s’agit d’un film d’époque. Il y a des scènes d’opéra, de ballet, de bal costumé. Tout cela nécessite de la connaissance et du savoir-faire, avec de bons partenaires. Nous avons travaillé avec de remarquables musiciens – Mike Theis, Koudlam, Luc Rougy, Charly Voodoo, Henri-Philippe Graetz pour des restitutions musicales de Gluck ou Haendel et pour les créations électro-pop, ou rock, les plus pointues. Ce film a été très difficile à faire, avec des difficultés terribles. Mais, en même temps, tout cela est un luxe magnifique. Le luxe de la liberté dans la créativité", explique-t-elle.
Elle ajoute : "Le tournage a été court. J’étais à la fois la fille à casquette et la princesse. Et j’ai géré cette espèce de double identité en mode survie, avec beaucoup d’ambition, mais sans le confort d’un film avec beaucoup d’argent."
Arielle Dombasle a immédiatement pensé au comédien Michel Fau pour jouer Balzac. Elle justifie ce choix : "Il est l’un des très grands acteurs vivants, l’un des plus grands metteurs en scène d’aujourd’hui, quelqu’un de phénoménal. J’aime sa façon « d’incarner ». Son Balzac, on y croit immédiatement, absolument, totalement. Je voulais montrer l’écrivain à l’œuvre avec ses personnages inventés et qui finissent par lui échapper."
"Les personnages balzaciens sont des figures qui traversent le temps. Quand on dit « ce type est un Rastignac » pour désigner un arriviste, ça dit tout ! Mais ils ont tout de même un acte de naissance. Et c’est la grande intelligence de Balzac de les avoir accouchés, d’avoir inventé ces types humains. Cette Comédie humaine. Et cette invention extraordinaire qu’est, dans la Comédie, le retour des personnages dans les différents romans."
Les Secrets de la princesse de Cadignan est un film d’époque. Pour les décors, Arielle Dombasle a fait appel à Jacques Garcia : "Il a créé son admirable royaume dans son château du Champ de Bataille... Pour une cinéaste, c’est presque plus romanesque, inspirant, que Versailles. On lui a souvent demandé d’y tourner. Mais la crainte qu’on vienne saccager l’endroit, qu’on vienne poser des barres de travelling sur des parterres de buis taillés ou des échafaudages de fers et de pinces sur des lambris du XVIIIème, l’effrayait. J’ai la chance que nous soyons amis. Je suis d’une famille de collectionneurs et partage sa vénération des objets, ce respect inconditionnel pour la beauté des choses."
"Et puis, on en revient toujours au même point : il savait que je ferais un film « léger ». Il a donc eu confiance en moi. Quant à Vincent Darré, on travaille ensemble depuis vingt ans. Et la créativité de Vincent est unique. Il a travaillé longtemps avec Karl Lagerfeld et Miuccia Prada. Il a su trouver dans des vieux stocks de Cinecittà des trésors. Pour les savantes coiffures et les maquillages, on a aussi fait appel aux meilleurs. Éric Gautier, à la photo, a eu cette chose extraordinaire de travailler sa lumière comme une musique et de cadrer les personnages presque plus que les acteurs – l’école de Néstor Almendros, que nous avons beaucoup admiré lui et moi...", se rappelle la cinéaste, en ajoutant :
"Et puis « Tess » où je jouais et qui est, je crois, l’un des premiers films à l’avoir inspiré. Vous voyez : encore le destin ! Et puis j’ai admiré sa lumière chez Carax, Desplechin, Resnais..."