Avec Des garçons de province, Gaël Lépingle aborde pour la première fois le rapport à l’homosexualité et à la sexualité. Il confie : "Je voulais revenir à la question d’habiter, mais rapportée à celle du genre ou de la sexualité. On entend encore tellement : 'Ce qui compte, ce n’est pas que ça se passe entre deux garçons, mais la vérité des sentiments.' Comme si celle-ci n’était pas déterminée par des facteurs sociaux et historiques..."
"Les représentations de la communauté gay comme univers urbain et branché, même si elles sont en train de changer, fonctionnent souvent comme une clôture. Je voulais détacher les personnages de tout lien communautaire, les dessiner sur du vide, dans leur solitude. Le film leur invente un noyau (le goût du costume) mais à titre d’expérience, pour voir ce que ça produit concrètement – si ça crée du singulier ou du commun."
"Le triptyque a été une solution pour casser l’universel du récit unique, dresser des relativités, des rapports. Au fond c’est d’abord la difficulté de vivre dans un environnement où il n’y a pas d’autre qui nous ressemble, 'd’autre soi', d’ami possible. C’est une expérience de la solitude qui est universelle, au-delà des enjeux du genre, même si ceux-ci restent déterminants."
Le film est divisé en trois parties avec un épilogue. Gaël Lépingle explique comment il a développé le scénario avec Michaël Dacheux : "La forme courte renvoie pour moi à la nouvelle, à un imaginaire marqué par la littérature, qui éveille des émotions très anciennes, des lectures d’adolescence, où le romanesque réside dans la miniature – exemplairement Maupassant, et même si la référence est énorme, c’est difficile de ne pas citer Le Plaisir qui est un film fondateur."
"Bizarrement je n’ai pas cette émotion avec un court-métrage, j’ai besoin d’une construction qui mette en perspective les récits, comme on tourne des pages. On n’a pas tenté, avec Michaël, de les relier narrativement. Le lien se faisait de lui-même entre ces solitudes, c’est le principe du recueil. Le retour du personnage de Jonas au troisième volet est la seule entorse, mais il est tellement différent que le doute persiste : c’est un autre qui lui ressemble, ou le même qui a changé."
Gaël Lépingle a fait appel à Léo Pochat, Yves‑Batek Mendy et Edouard Prévot : "Ce sont trois éclats diffractés de la jeunesse. La douceur inquiète d’Yves-Batek, c’est ce que je cherchais pour évoquer ces vies de gays installés dans des coins paumés où ils doivent se faire accepter."
"Que certains déterminants minoritaires se normalisent aujourd’hui (du moins en apparence), ça permet à un personnage noir et gay d’accéder à un type de récit classique – adultère villageois ou bovarysme – qui jusque-là lui était refusé", explique le metteur en scène, en poursuivant :
"Edouard est le plus moderne, avec une singularité affichée qui tient de la créature, de l’invention de soi. Léo à l’inverse c’est un physique qu’on ne voit plus aujourd’hui, très années 1980, lisse et archétypal, avec ce côté surface où on peut projeter les plus troubles mystères..."
Gaël Lépingle a tourné dans trois petites villes situées dans l’Aube et le Loiret. Un choix lié à leur proximité avec Paris qui fabrique un certain anonymat. Le réalisateur précise : "C’est ça la province, une sorte d’identité perdue. Rien n’est typique, tout ressemble à tout. Alors que dès qu’on s’éloigne de Paris, c’est autre chose. En Bretagne, en Provence, il y a des particularismes, des revendications, des fiertés. L’Aube et le Loiret je connais bien, j’y ai tourné mes deux précédents films."
"J’aime cette sensation de temps suspendu, et ce terme de province s’y applique merveilleusement, avec son côté désuet, un peu poussiéreux, qui en devient politiquement incorrect – on sait qu’il faut désormais dire régions ou territoires, pour ne vexer personne."