Tenant davantage de la comédie que ses précédents films, Les Rois de la piste marque une certaine rupture dans le travail de Thierry Klifa. Le cinéaste à qui l'on doit, entre autres, le thriller Tout nous sépare explique : "Il y avait une envie de légèreté, c’est sûr, d’autant que nous avons commencé à l’écrire pendant le confinement. Il y avait aussi qu’après Tout nous sépare et mon documentaire André Téchiné, cinéaste insoumis, deux films assez chargés pour différentes raisons, j’avais envie d’une histoire qui soit joyeuse, féroce, inattendue, solaire, furieusement tournée vers la vie et mélancolique à la fois, avec de l’amour, de l’amitié, de grandes engueulades et de grandes réconciliations."
"Parler de la famille dans ce qu’elle a de plus réjouissant et… de plus toxique aussi. De cette place qu’on vous attribue à la naissance à celle qu’on prend soi-même pour exister vraiment, en tout cas celle qu’on se choisit pour échapper à un certain déterminisme."
Thierry Klifa a eu l'idée de La Musicienne, le tableau de Tamara de Lempicka, grâce au clip Vogue de Madonna, où cette toile apparaît : "C’est la plus grande collectionneuse de Lempicka au monde. Sa passion pour elle a fait exploser sa côte. Elle a même une copie d'un de ses tableaux avec sa propre image. La Musicienne a vraiment été volé et des détectives de l’Agence Artiaz, spécialisée dans l’art, ont mis sept ans à remettre la main dessus. C’est en tombant sur un article dans Télérama racontant l’enquête pour le retrouver que l’idée a germé."
C’est en voyant Ben Attal dans Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain que Thierry Klifa a voulu le choisir pour jouer le petit-fils dans Les Rois de la piste : "Il disparaissait au bout d’un quart d’heure de film mais cela lui suffisait pour imprimer sa présence. Il a dans le regard quelque chose d’un peu absent à lui-même, de mélancolique et de sombre qui correspond à Nathan. Lui, il veut prendre sa revanche et s’émanciper des siens, les laisser se castagner sans lui."
"Il était donc dans un autre registre plus grave et premier degré que les autres. Les Zimmermann lui ont volé une part de sa jeunesse, de son insouciance, de son innocence. Il veut leur faire payer. Et cela même si pour Rachel, c’est une tradition chez eux de passer par la case prison."
Faire en sorte que l’intrigue policière s’équilibre avec la comédie a été la chose la plus difficile à mettre en œuvre pour Thierry Klifa et Benoît Graffin au moment de l'écriture du film. Le premier se rappelle : "Nous pensions au « néoréalisme rose » comme on a défini cette période exceptionnelle de la comédie italienne où ses anti-héros étaient des gens de tous les jours jouant en permanence avec la légalité pour sauver leur peau ou leur honneur et dont l’extravagance tenait aux situations qu’ils traversaient, à la fois victimes et bourreaux. Je connais par cœur le cinéma de Jean-Paul Rappeneau avec lequel j’ai grandi. C’est le maître absolu de la comédie à la française."
"Il y a également certains films de Philippe de Broca, Le Cavaleur, par exemple. D’une autre génération : Pierre Salvadori bien sûr. On a revu aussi les films de Blake Edwards pour leur burlesque et leur élégance, les failles et les gaffes de leurs personnages. Ceux de James L. Brooks que j’aime passionnément. Les comédies policières des années 80 : Veuve mais pas trop et Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme où les femmes sont moteur, comme Anne Bancroft dans À la recherche de Garbo de Sidney Lumet que j’avais demandé à Fanny de regarder. En gardant à l’esprit trois des préceptes fondamentaux du cinéma de Lubitsch : l’ellipse, l’attente, la surprise."
Avec Les Rois de la Piste, Thierry Klifa fait tourner pour la première fois Fanny Ardant au cinéma. Le cinéaste l'avait toutefois dirigée au théâtre à trois reprises : "C’est elle la première - j’étais encore journaliste à Studio Magazine - qui m’a poussé à devenir réalisateur. Derrière ma timidité et mes 25 ans, sans me connaître, elle avait deviné ce désir qui m’animait depuis l’enfance. Après Une vie à t'attendre quand je l’ai remerciée de m’avoir encouragé, elle m’a répondu : « on ne pousse que ceux qui sont au bord de la falaise », Fanny, quoi… On a beaucoup travaillé ensemble et ça s’est toujours fait dans la joie."
"Nos trois pièces (L’Année de la pensée magique, Des journées entières dans les arbres, Croque monsieur) ont été des succès publics et critiques, cela a donc été plutôt valorisant pour l’un et l’autre. On se voit souvent dans la vie."
Dans la peau du fils dépressif et sous cachets, Thierry Klifa a choisi Mathieu Kassovitz. L'acteur n'était dans un premier temps pas disponible, mais a finalement pu prendre part au tournage. Le réalisateur confie : "Mathieu n’a pas peur du ridicule. Il n’hésitait pas à en faire trop, ça l’amusait même, c’est ce qui rend Sam aussi touchant et attachant. On est si loin de son registre habituel, de La Haine ou Le Bureau des légendes. Ça l’excitait. On a parlé ensemble de la grande époque des comédies à l’américaine, de Cary Grant, qui était le charme et la classe incarnés et qui n’hésitait pas à se balader en pyjama dans L’Impossible Monsieur bébé…"
Si le compositeur Alex Beaupain a conçu les musiques des trois pièces de théâtre de Thierry Klifa, c’est la première fois que le metteur en scène le sollicite pour le cinéma : "J’ai tout de suite compris qu’il y aurait beaucoup de musique, qu’elle serait même un personnage à part entière. Résultat, il y en a plus d’une heure ! Il s’est amusé à détourner les codes du film noir, de la comédie, les entremêlant… On a pensé aux films de Rappeneau, plus particulièrement à la B.O. de Tout feu, tout flamme composée par Michel Berger pour le thème principal. Nous avons la même cinéphilie, les mêmes références, donc ça va vite", raconte le cinéaste. Par ailleurs, Alex Beaupain a également écrit les chansons que chantent les comédiens du film.
Avec Les Rois de la Piste, Nicolas Duvauchelle retrouve Thierry Klifa après Tout nous sépare et Les Yeux de sa mère. C'est l'acteur lui-même qui a eu l'idée de la scène de la chanson : "Il était prévu que ce soit une scène de danse. J’ai commencé à travailler, j’ai fait deux trois répétitions avec la répétitrice mais pour que ce soit vraiment réussi, il aurait fallu s’y prendre un an à l’avance ! En plus, je trouvais que ça cataloguait un peu trop le personnage. Je pensais que par une chanson, surtout pour moi qui aime la musique, qui en ai fait, qui ai déjà chanté, on pouvait faire passer beaucoup plus de choses. Je ne suis pas assez bon danseur pour faire passer les émotions comme le font les danseurs professionnels – et ce n’est pas en deux mois qu’on apprend ça !"
"J’en ai parlé à Thierry, je lui ai dit que chanter me conviendrait mieux et il a tout de suite dit oui. On a proposé à Alex [Beaupain] d’écrire une chanson assez vite et puis on l’a enregistrée, même si je l’ai performée en live pendant le tournage."
Mathieu Kassovitz tourne pour la première fois aux côtés de Fanny Ardant. Un rêve pour le comédien, qui confie : "Tourner avec des actrices comme elle, avec le parcours, la carrière qu’elles ont, qui ont vécu ce qu’elles ont vécu, qui ont traversé ce qu’elles ont traversé, qui ont travaillé avec tous ces réalisateurs et ces acteurs, c’est magique… Ce sont de vraies femmes, de grandes actrices qui envoient du bois. J’adore ça, et avec Fanny on a même commencé à déconner très vite, à se faire des grimaces pendant les contre-champs ! Je lui manquais de respect, et elle aussi, on était comme des gamins…"