Dans Juliette, Pierre Godeau avait dressé le portrait d’une jeune fille sur le point de perdre son père. Dans Raoul Taburin, on découvrait que Raoul avait grandi sans mère. La filiation est souvent fragilisée dans les films du réalisateur : "Dans Sous le vent des marquises, j’aborde la thématique de la filiation frontalement pour la première fois. J’avais envie de raconter l’histoire d’une jeune femme qui va se révéler dans les yeux de son père et va pouvoir avancer dans la vie en obtenant son estime. Cette trame, bien sûr, fait écho à ma propre vie."
"J’ai, très jeune, aimé le cinéma et désiré en faire, comme mon père, qui a toujours été très accaparé par ses fonctions de producteur et de réalisateur. Mon père est quelqu’un de pudique, comme l’était son propre père, qui parlait peu. Devenir réalisateur m’a permis d’échanger et de partager des choses avec lui. Alain et sa fille ont eux aussi du mal à communiquer. Lou lui en veut, mais chemin faisant, l’un et l’autre découvrent que le cinéma, qu’ils tenaient pour responsable de leur éloignement, est aussi susceptible de les rapprocher", confie-t-il.
Avec le personnage d'Alain, Pierre Godeau voulait suggérer que Lou ait envie de devenir comédienne mais qu’elle soit inhibée par le fait que son père exerce ce métier. Le cinéaste précise : "Je voulais qu’Alain soit célèbre, car les acteurs qui le sont appartiennent à tout le monde. Pour les proches, ce n’est pas toujours évident à vivre. Surtout qu’elle constate que lui aussi a besoin d’eux."
"Son père a une soif d’amour qu’il semble incapable d’apaiser auprès de ses proches, comme si ça ne pouvait pas lui suffire. Lou éprouve de la jalousie face aux fans qui interpellent son père de manière familière. Elle se demande ce qui rend son lien à elle unique avec lui, il y a eu un tel vide…"
L'idée d'avoir pensé à Jacques Brel comme référentiel dans cette histoire a surgi dans l'esprit de Pierre Godeau par hasard. Il se souvient : "Lorsque j'ai débuté l’écriture de ce scénario, j'ai buté sur le sujet du film dans le film quand je suis tombé sur le tableau d’un peintre belge contemporain, Harold Ancart, qui représentait une sorte d’archipel noir et blanc. Il avait intitulé sa série Les Marquises. En m’intéressant à cette peinture, j’ai levé un voile sur les dernières années de la vie de Jacques Brel et j’ai été frappé par les liens qui se tissaient presque naturellement entre son histoire et celle que j’écrivais."
"Brel est un artiste qui a libéré beaucoup de gens, par ses chansons mais aussi sa personnalité, son authenticité et sa liberté. Son aura continue d’agir aujourd’hui."
Pierre Godeau explique pourquoi il a choisi une île comme décor de Sous le vent des marquises : "La mer a un pouvoir apaisant, une présence réconfortante, mais elle agit aussi comme une barrière qui isole du monde extérieur. Rapidement, j’ai eu l’idée d’associer cette île à mon histoire. J’imaginais mon personnage prenant le bateau pour retrouver sa fille, insistant sur l’effort requis pour ce rapprochement. De même, sa fille devait quitter sa zone de confort physique pour se lancer dans la vie."
Pour le rôle de Lou, Salomé Dewaels s’est imposée naturellement : de par son talent et parce qu’elle est, selon Pierre Godeau, une jeune femme de son temps pouvant aussi incarner l’imaginaire mélancolique de son personnage. Le cinéaste raconte : "Salomé a ce mélange d’assurance, d’aplomb et d’insécurité qui convenait parfaitement au rôle : sa façon de s’imposer discrètement, son rire glorieux…"
"Comme Lou, elle arrive sans qu’on la remarque, avant de prendre petit à petit toute la place de façon pacifique et définitive. C’est une immense actrice. Le film lui doit beaucoup. Elle a été un véritable métronome regardant toujours François dans les yeux, le ramenant au coeur de la scène."
Pierre Godeau a opté pour une caméra discrète sur l’île. Le réalisateur souhaitait que la mise en scène soit simple et posée : "Encore une fois dans l’idée de distinguer cinéma, réalité et souvenirs. J’avais envie d’une image sans artifices, claire, limpide, iodée. Avec des teintes blanches et bleues comme dominantes."
Dans un premier temps, François Damiens a eu peur de ce projet. La raison ? L'acteur est passionné par Jacques Brel et toucher à ce monstre sacré de la chanson l'effrayait. Il se rappelle : "Pierre m’a rassuré sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un biopic et que je n’allais pas chanter ! Brel était un point de départ. Lorsque j’ai lu le scénario, il a fait écho en moi, je trouvais très belle cette histoire d’un père qui tente de recréer un lien avec sa fille."
"Cela m’a fait penser au texte de Guy Corneau, Père manquant fils manqué. L’absence d’un père est-elle réparable ? J’ai été touché par la manière dont Pierre tente d’y répondre. J’ai aussi compris à quel point ce film était personnel pour lui. J’ai été sensible à tout ce que ce scénario évoquait : la célébrité, la solitude, le déni, la tricherie, la lâcheté, les liens familiaux…"