La mère de Benoît Cohen a, comme le personnage de Fanny Ardant, accueilli un jeune réfugié, Mohammad. A ce moment, le réalisateur habitait aux Etats-Unis et Donald Trump venait d’être élu président. Il a ainsi eu envie de raconter cette histoire de solidarité et d’ouverture d’esprit pour contrebalancer le discours de haine ambiant, animé par le renfermement sur soi-même et la peur de l’autre. Il explique : "Même si j’ai toujours été politisé, mes premiers films étaient plutôt des films de genre, un peu déconnectés de la réalité sociale."
"Le succès de mon troisième long métrage, Nos enfants chéris, m’a installé dans le registre de la comédie. J’ai continué dans cette veine pendant plusieurs projets mais je ressentais de plus en plus le besoin de parler du monde qui m’entourait. L’élection de Nicolas Sarkozy a été un déclic. Et particulièrement ses lois très répressives envers les sans-papiers. J’ai commencé à écrire un scénario à ce sujet puis je suis parti m’installer en Amérique. La grande diversité de ma nouvelle ville d’adoption, New York, a renforcé mon désir d’être plus politique."
Mes projets ont pris une couleur plus engagée. À commencer par mon premier livre, Yellow Cab, dans lequel je racontais mon expérience de chauffeur de taxi jaune au contact d’immigrants du monde entier tout juste débarqués au pays du rêve américain. Peu de temps après, j’ai eu la chance de rencontrer Mohammad. Je lui ai proposé de me confier son histoire. Nous sommes partis deux jours à la campagne et il m’a tout raconté, d’une traite. Il m’a fait confiance parce qu’il l’avait accordée à ma mère quelques semaines plus tôt."
"C’était une des premières fois depuis son long périple que cela lui arrivait. C’est une expérience inédite d’être face à quelqu’un qui vous raconte sa vie, d’un bloc. En général, cela prend du temps d’apprendre à connaître les gens. C’était vertigineux, pour moi et pour lui. Je sentais que ça lui faisait du bien. Comme une psychothérapie accélérée. Plus je l’écoutais, plus j’étais convaincu que raconter son histoire pourrait donner à un futur lecteur ou spectateur l’envie de s’ouvrir à l’autre. Je ne savais pas encore si ça deviendrait un livre ou un film."
Benoît Cohen a immédiatement pensé à Fanny Ardant pour jouer France : comme la mère du cinéaste, l'actrice est à la fois bourgeoise et anticonformiste, mais aussi fantasque derrière une apparence très classique. Il se rappelle : "Elle a accepté le projet dès la lecture du livre. Mais, à cause du confinement, le film a mis plusieurs années avant de trouver son financement. À chacun de mes retours de New York, nous prenions rendez-vous. On a eu le temps d’apprendre à se connaître. On parlait un peu du film, beaucoup de cinéma et de la vie en général. Petit à petit, nous sommes devenus amis."
"Donc quand le tournage a commencé, j’avais déjà apprivoisé la bête ! (Rires) Ce qui ne m’a pas empêché, la première fois que je l’ai vue sortir de la loge maquillage, d’être ému et intimidé… Tourner avec Fanny est un bonheur de tous les instants. Elle est professionnelle et inventive à la fois. Même en pleine nuit, par moins deux degrés, en escarpins, elle s’amuse. Jamais aucune plainte, aucune exigence déplacée. C’est fascinant, avec un tel nombre de films derrière elle, qu’elle continue à prendre autant de plaisir… Notre sens de l’humour commun nous a permis de désamorcer beaucoup de situations."
Lorsque Benoît Cohen a dit à Mohammad que le livre racontant son histoire allait devenir un film, il était euphorique. Tout de suite, il a demandé au metteur en scène de trouver un acteur Hazara pour jouer son rôle (il tenait à ce que l’histoire de son ethnie, persécutée pendant des siècles par les Pachtounes, apparaisse dans le film) : "Je lui ai promis, ce qui a énormément compliqué le casting. Il fallait trouver un jeune gars, d’une vingtaine d’années, qui parle français mais pas trop, qui ait ses papiers pour pouvoir travailler, et qui ait le sens du jeu."
"Ma directrice de casting, Aurore Broutin, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, a pu récupérer le profil de 400 candidats potentiels. Elle en a rencontré une cinquantaine, et nous avons fait passer des essais filmés à une vingtaine d’entre eux. Nawid est tout de suite sorti du lot. A l’époque, il travaillait dans une pâtisserie à mi-temps et venait passer ses matinées au bureau pour travailler le texte avec Aurore. Au bout de trois mois, il connaissait le scénario par cœur… Au début du tournage, il était très impressionné mais il a gagné en assurance semaine après semaine."
"Le plan de travail respectait autant que possible la chronologie de l’histoire pour que sa confiance et celle du personnage évoluent en même temps."
Bertrand Mouly est le chef-opérateur de tous les films de Benoît Cohen : "Après des études de cinéma à New York, je suis rentré en France avec un projet de court métrage. En attendant de pouvoir le réaliser, j’ai travaillé comme assistant sur des tournages de pubs. J’y ai rencontré le directeur de la photo Darius Khondji, de quinze ans mon aîné et déjà célèbre. Nous avons sympathisé et je lui ai proposé d’éclairer mon film. Il m’a conseillé de plutôt trouver quelqu’un de mon âge, sortant de l’école, avec qui je pourrais construire une histoire commune."
"C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Bertrand.... Courts, longs, documentaires, séries, nous avons tout fait ensemble. Nous sommes comme deux frères, deux meilleurs amis, on se connaît par cœur, ce qui nous permet de gagner beaucoup de temps. Sur ce film, nous avons décidé de tourner en scope, avec une image désaturée, pour faire un petit pas de côté par rapport au réel : cette histoire est un conte de fée moderne, la lumière devait être légèrement décalée, pour en faire un objet cinématographique, pas un documentaire", raconte le réalisateur.
C’est le fils de Benoît Cohen, Aurélio, 21 ans, qui a composé la musique de Ma France à moi. L’idée est venue au metteur en scène d’un album de musique électro qu’il a composé à l’époque où il étudiait la musique de films au Berklee College of Music de Boston. Benoît a énormément écouté ses morceaux pendant l’écriture du scénario. Du coup, il lui a demandé de lui proposer des variations, très en amont : "Il est très bon mélodiste. Tout de suite, j’ai compris que ce qu’il me proposait collerait parfaitement à l’histoire que je voulais ra- conter. L’émotion était là. Aurélio avait déjà signé la musique de quelques courts-métrages mais c’était la première fois qu’il s’attaquait à un projet aussi ambitieux."
"Il a été entouré d’une équipe extrêmement bienveillante. Au final, je suis comblé par le résultat. J’adore l’idée de travailler en famille. J’ai fonctionné comme ça, de film en film, avec une bande de techniciens, de comédiens, toujours les mêmes, qui sont devenus des amis ; et puis Eléonore qui co-écrit et qui joue dans tous mes films ; et les enfants qui sont toujours dans les parages… J’ai grandi dans une famille très soudée, et je crois que je reproduis ça dans ma vie, comme dans mon travail. J’aime l’idée qu’un film ne s’ar- rête pas à un tournage, qu’on se voie avant, qu’on se retrouve après… Ça crée une belle dynamique : quand la caméra com- mence à tourner, on est tous nourris d’une histoire commune."