Juan José Lozano a par le passé réalisé des documentaires en prises de vues réelles comme Impunité et Témoin indésirable. Il explique comment est né ce projet de film en animation : "En tant que Colombien et comme tous les gens de ma génération j’ai grandi avec la guerre."
"A travers mon travail de cinéaste, j’essaie de comprendre cette guerre. En 2012, alors que je venais de finir « Impunity », je constate que la guérilla des FARC, un des protagonistes majeurs de l’histoire récente de mon pays, n’existe pas dans le cinéma."
"Il y a plein de reportages journalistiques, plein d’images de propagande caricaturale de la guérilla, mais aucun film. Comme si ces hommes et ces femmes ne méritaient pas d’être racontés, comme s’ils venaient d’un autre monde."
"Je commence alors à travailler et je tombe sur un document exceptionnel : des milliers d’e-mails que le commandant Raúl Reyes avait écrits et reçus au cours des huit dernières années de sa vie et qui étaient enregistrés dans les ordinateurs que l’armée colombienne avait récupérés après leur attaque."
"Une partie de cette documentation a été rendue publique dans un livre édité par l’institut international d’études en stratégie militaire de Londres. Et à partir de là, j’ai commencé à tirer des fils pour accéder à d’autres blocs d’e-mails qui étaient éparpillés entre l’Amérique latine et l’Europe."
S'il vient du documentaire, Juan José Lozano a toutefois choisi la fiction pour Jungle rouge. Le cinéaste avait en effet envie d’explorer d’autres matériaux que les faits pour raconter son pays : "Et j’ai découvert avec Raúl que j’avais en face de moi un personnage romanesque qui me permettait de raconter un moment historique important en Colombie et en Amérique Latine."
"Essayer de comprendre Raúl, dans sa condition humaine, a été le pari qui a donné vie à ce projet. Je voulais capter l’âme des FARC et d’une manière plus universelle celle de la radicalisation. Raúl incarnait à la perfection ce monde. C’est en jouant avec les armes de la fiction, le scénario, le voyage du personnage, les dialogues... Que nous avons pu donner vie à cette histoire."
Zoltán Horváth a assuré la direction artistique du projet. Compte tenu du sujet du film, il n'a pas opté pour une animation cartoon ou trop léchée, et a traité la jungle non pas comme un décor mais comme un personnage à part entière qui évolue. Il précise :
"Cette jungle est censée représenter l’état d’esprit de Raúl. Au début du film c’est une jungle très clairsemée, ordonnée, presque belle. Puis elle va devenir de plus en plus envahissante, grouillante, glauque et maladive."
"Et enfin, complétement irréaliste et féerique. C’est pour cette raison que nous avons voulu rester dans un entre-deux d’un point de vue esthétique. Nous avons traité chaque image avec des outils de peinture, de filtres pour créer un univers hybride, un peu à l’image de cette jungle et à l’image de l’esprit de Raúl."
Grâce à l’animation, Juan José Lozano et Zoltan Horvath ont récréé le monde de Raúl Reyes pour produire une image nouvelle, entre réalité et fantaisie, entre rêve et cauchemar. Le premier confie : "L’animation nous a permis de mieux plonger en immersion dans cette histoire d’un homme qui perd pied avec la réalité. Nous sommes dans la peau d’un personnage enfermé dans une jungle en décomposition de plus en plus terrifiante et claustrophobe."
"Nous suivons Raúl dans le quotidien de son camp, entouré d’une centaine de combattants aguerris qui sont avant tout des êtres humains. Des hommes et des femmes qui doivent aussi se laver, cuisiner, qui sont confrontés à l’amour et à la trahison et qui ont leurs rêves et leurs cauchemars."
Raúl est un personnage de cinéma à part entière : Juan José Lozano et Zoltan Horvath ont très tôt pensé au Colonel Kurtz d’Apocalypse now ou à Aguirre, la colère de dieu, de Werner Herzog. "C’est un personnage qui, à mesure qu’il s’enfonce dans la jungle, sombre dans la folie et la paranoïa. Et la meilleure manière d’incarner ce huis-clos cauchemardesque a été l’animation avec tout son pouvoir d’évocation.
"Zoltan Horvath et l’équipe d’animateurs de Nadasdy Film ont su donner vie, après une longue étape d’expérimentation et de recherche, à cette image hybride du film qui transmet assez bien l’esprit de notre histoire", explique le premier.
Le travail d’animation a duré plus de dix mois avec la collaboration d’une vingtaine d’animateurs à Genève, dans les studios de Nadasdy, et dix autres dans les studios de Tchack, à Lille. "Il faut dire que nous avons reçu à la fin du montage des images dans lesquelles il n’y avait que les comédiens jouant sur un fond neutre. Le travail d’animation a consisté à donner vie à chaque scène du film : les camps successifs de Raúl, la vie quotidienne des guérilleros, l’exubérance de la végétation et tous les éléments qui composent la citadelle guérillera en plein milieu de la jungle", se rappelle Zoltan Horvath.